25 août 2013
Antonio Negri et Michael Hardt, les mécanos de la Sociale
Le monde vit une période de transition. Le capitalisme national industriel lié au salariat décline alors que se développe un nouveau capitalisme mondial fondé sur le travail cognitif et la précarité. Le pouvoir des États-nations s’affaiblit, le multilatéralisme a disparu et le coup d’État des États-Unis pour dominer la planète a échoué. Pendant ce temps, l’Empire se construit inexorablement tout en travaillant à sa perte. Dans ce monde en mutation, la multitude des singularités s’organise sans pouvoir dirigeant, lutte pour libérer le commun approprié et marchandisé par le capital, pour renverser l’Empire et imaginer un monde nouveau où la « démocratie absolue » remplacera la république de la propriété. Telle est la teneur des travaux de Michael Hardt et Antonio Negri. Autant dire que ceux qui aspirent à une convergence révolutionnaire ont là, matière à réflexion car, à leur manière, Hardt et Negri imaginent une convergence excentrique – l’oxymore pourrait leur plaire. Ce qui, peut-être, leur plaira moins, car ils conservent des traces du sectarisme marxiste de leur jeunesse, sera de dire que, parfois, ils font du syndicalisme révolutionnaire sans le savoir.
Une lecture militante pour faciliter l’accès à la somme des 1 500 pages de la trilogie : Empire (2000), Multitude (2004), Commun (2009, 2012 pour l’édition française), est ici proposée, en huit séquences, par Pierre Bance :
Capitalisme cognitif et production biopolitique ;
Penser le commun pour le communisme ;
L’Empire, parfait biopouvoir ;
La multitude, forge de la révolution ;
Parallélisme syndicaliste révolutionnaire ;
L’organisation multitudinaire ;
Une transition à durée indéterminée ;
Une contribution à la convergence.
Le texte est rédigé pour être lu sans être obligé de se reporter aux notes, lesquelles, pour une réflexion plus approfondie, donneront les références, des compléments et des approfondissements.
note de l’éditeur – Autre futur
Texte de Pierre Bance, syndicaliste, journaliste indépendant – mars 2013
Si l’on arrive à la lecture de Michael Hardt et d’Antonio Negri (1) après être passé par celle de Rancière, ce dernier a prévenu : ils ne font que reprendre «la vieille thèse marxiste selon laquelle le capitalisme serait son propre fossoyeur. Le mode de production capitaliste serait voué à exploser sous l’effet même des nouvelles forces productives qu’il développe et qui portent en elles-mêmes un nouveau monde social » (2). Dans leur dernier ouvrage, Commonwealth, Hard et Negri ne le démentent pas :
«C’est ainsi que le capital creuse sa tombe, car en poursuivant ses intérêts propres et en essayant d’assurer sa survie, il est obligé d’encourager la puissance et l’autonomie de la multitude productive » (3).
Pour eux, les transformations de la production sous la poussée du capitalisme cognitif donnent au monde dans lequel nous vivons une nouvelle configuration. La souveraineté est progressivement exercée par l’Empire composé d’organismes nationaux et supranationaux, intégrant les États-nations, unis dans une logique interlope de gouvernement. Cet Empire est fragile, il ne vit et se développe que par le travail de la multitude ; il peut être victime d’une poussée inventive et organisationnelle de celle-ci.
Les concepts d’Empire et de multitude inspirés par les travaux de philosophes classiques (Machiavel, Spinoza, Hobbes) ou contemporains (Foucault, Guattari, Deleuze) constituent la matière des deux premiers ouvrages de Hardt et Negri (4). Plus que de leur reprocher d’utiliser le schéma basique du marxisme comme Rancière, le militant critiquera leur refus d’intervenir concrètement sur le futur : Hardt et Negri préconisent de s’organiser pour détruire le vieux monde et en construire un autre. S’organiser, mais comment ? Un nouveau monde, mais lequel ? Même, dans le troisième tome de la trilogie consacré au commun, ils ne progressent que lentement sur ce chemin. Comme la plupart des philosophes politiques radicaux, Hardt et Negri pensent que la philosophie n’est qu’un moyen au service de l’action, seule constituante (5).
« L’imagination philosophique peut colorer le réel, mais elle ne peut pas remplacer l’effort du faire-histoire : l’événement est toujours un résultat, et non pas une origine » (6). « À un certain moment de sa pensée, Marx a eu besoin de la Commune de Paris pour faire le saut et (4) concevoir le communisme en termes concret comme une solution de rechange effective à la société capitaliste » (7).
Avant d’aborder les notions d’Empire et de multitude puis la description de leurs relations et tensions pour articuler « un projet éthique, une éthique de l’action politique démocratique au sein de l’Empire et contre lui » (8), il convient d’éclaircir les concepts qui les traversent ou se fondent en eux : « capitalisme cognitif », « biopouvoir », « biopolitique », « production biopolitique », « commun » (9).
Capitalisme cognitif et production biopolitique
Nous serions dans une période transitoire entre le capitalisme industriel et le capitalisme cognitif (le capitalisme de la connaissance). La capacité d’apprentissage et de création de la force de travail tend à jouer un rôle plus essentiel que la rationalisation de la production et l’investissement matériel. La valeur tirée du travail industriel, de la production mesurable en temps, perd sa position hégémonique au profit du travail immatériel ou biopolitique qui s’insinue dans tous les secteurs de la production et de la société elle-même « en les conformant à ses propres caractéristiques » (10). La production biopolitique, sans exclure les biens matériels, concerne d’abord la production de biens immatériels relevant du commun : les idées, l’information, les images, les codes, les langages, les rapports sociaux, les affects, les formes de vie « et ainsi de suite » peut dire Michael Hardt (11). Le capitalisme cognitif est le soubassement économique de l’Empire, le capitalisme financier n’est pas le nouveau capitalisme mais un élément du capitalisme cognitif (12). Á ce stade, il est nécessaire de comprendre la distinction que font Hardt et Negri, à partir des travaux de Michel Foucault et des différentes interprétations qui en ont été données, entre « biopouvoir », « pouvoir qui s’exerce sur la vie » et « biopolitique », « puissance dont dispose la vie pour résister et déterminer une production alternative de subjectivité » (13), ainsi que la relation compliquée qui les lie :
« Nous montrerons comment les formes de production dominantes et hégémoniques sont celles qui créent les “biens immatériels”, tels que des idées, du savoir, des formes de communication, et des relations. Dans le cadre de ce travail immatériel, la production déborde hors des frontières traditionnelles de l’économie et se déverse directement dans le domaine culturel, social et politique. Elle crée non seulement des biens matériels, mais des relations sociales concrètes et des formes de vie. Nous appelons “biopolitique” cette forme de production afin de souligner le caractère générique de ses produits et le fait qu’elle a directement prise sur l’ensemble de la vie sociale. Nous avons déjà mentionné le “biopouvoir ˮ pour expliquer comment le régime de guerre actuel ne nous menace pas seulement de mort, mais domine la vie en produisant et en reproduisant toutes les dimensions du social […]. L’un comme l’autre ont prise sur l’ensemble de la vie sociale […] mais de manière différente. Le biopouvoir se tient au-dessus de la société, il est transcendant, à l’image d’une autorité souveraine, et il impose son ordre. La production biopolitique est en revanche immanente au social ; elle crée des relations et des formes sociales à travers des modalités de travail coopératives. La production biopolitique [fait] émerger l’assise sociale à partir de laquelle il est aujourd’hui possible de construire un projet de multitude » (14).
Des auteurs, comme Jacques Rancière, mettent en garde de ne pas prendre au comptant ces concepts de biopolitique et de biopouvoir, qui obscurciraient la réalité économique et politique et rendraient ainsi l’action pour la changer inefficace (15). Hard et Negri répondent que c’est faire peu de cas de l’idée de doter la production biopolitique d’une raison qui pourrait avoir trois caractéristiques : mettre la rationalité au service de la vie, la technique au service des besoins écologique, l’accumulation de la richesse au service du commun (16). Il est alors évident qu’avec sa forte capacité de circulation, ses biens échangeables gratuitement, facilement stockables, indéfiniment reproductibles, la production biopolitique devient un enjeu politique et économique. C’est pourquoi le capitalisme veille et rôde autour de la force de travail biopolitique qui prétend à l’autonomie, pour la capter, pour s’accaparer et privatiser le bien commun (17).
Penser le commun pour le communisme
« Si la démocratie moderne a été l’invention de la liberté, la démocratie radicale, aujourd’hui, veut être l’invention du commun » (18). Res communis en droit, désigne les choses appartenant à tous et que nul ne peut s’approprier individuellement.
Disponible et reproductible, le commun est désormais l’enjeu de la collaboration ambiguë et des guerres latentes ou ouvertes entre la multitude et l’Empire qui cherche à s’emparer du commun, les res communis deviennent des res nullius, des choses sans maître donc susceptibles d’être appropriées. Hardt et Negri expliquent le statut du commun en en montrant différentes facettes : philosophique, sociologique, juridique ou politique sans perdre de vue que le commun est un principe unitaire qui doit régir un ensemble de ressources et de relations sociales. « Le commun n’est donc pas ce que l’on a en commun, mais ce que l’on doit en commun» (19). Le commun est un don nous liant aux autres et qui oblige à rendre.
Le premier sens du commun est attaché à la nature, c’est la richesse commune du monde matériel. L’air, la lumière, l’eau, la terre et ses fruits, leurs bienfaits appartiennent à tous (20). Pourtant, ils sont progressivement privatisés. Á l’origine, la propriété foncière est forcément une prise sur la terre commune par les plus forts, guerriers et prêtres. Le processus d’accumulation primitive, pour parler comme Marx, se poursuivra jusqu’à la révolution industrielle qui s’accompagnera de l’appropriation des biens communs du sous-sol (charbon, minerais, pétrole, gaz, etc.). Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose du commun naturel. Pas même l’air puisque les États et les capitalistes s’octroient des droits négociables à le polluer comme s’il était leur (21). L’expropriation peut prendre une forme particulière par usurpation des connaissances traditionnelles héritées de la nature, notamment des connaissances médicales.
Des chercheurs chinois et français mettent en valeur, à partir de la médecine traditionnelle chinoise, les vertus thérapeutiques de l’arsenic pour traiter une forme rare de leucémie. Mis au courant de ces travaux, un laboratoire américain dépose le brevet d’un médicament à base d’arsenic rendant le traitement hors de prix, inaccessible aux malades des pays sans protection sociale (22). Ainsi la société marchande considère que la reproduction libre d’œuvres sur internet vole le titulaire du droit d’auteur (23) mais n’a pas cette prévention envers elle-même pour voler les peuples détenteurs de connaissances ancestrales. Pour se préserver de ce mercantilisme sans scrupule, la loi péruvienne contient une disposition sur le bio-piratage : « Par bio-piratage, on entend l’accès ou l’usage non autorisé et non compensé de ressources ou des savoirs traditionnels des peuples indiens par des tiers » (24).
Ainsi, le brevetage ne s’applique pas à une création, une invention, une amélioration, une utilisation nouvelle, mais à la simple élucidation d’un phénomène naturel. Les brevets sur les séquences d’ADN sont à ce titre exemplaires (25).
Un deuxième sens du commun tient aux résultats de la créativité et du travail humain, les fruits de l’intelligence collective de la multitude. La valeur d’usage collective s’applique à ce qui est produit ensemble : « Tout étant produit par tous, appartient à tous » (26). Or, le capitalisme se montre habile à exploiter cette production commune mais aussi à la récupérer par sa capacité à transformer en marchandise tout ce qui est susceptible de faire du profit ou de procurer de la rente (27).
L’attirail révolutionnaire n’échappe pas à sa rapacité. Le A cerclé des anarchistes paraissait un graphisme à la disposition de tout intéressé. Modistes et parfumeurs s’en sont emparés à des fins commerciales pour fortifier le style « rebelle ». Particulièrement remarqué fut le A cerclé sur un slip de femme de John Galliano (28). Ne doutons du dépôt légal de ce modèle de slip. Qui osera déposer, le A cerclé ? Après tout, cette démarche fut faite par le Mouvement de libération des femmes pour privatiser son « MLF » et par probablement d’autres mouvement plus ou moins radicaux pour leurs sigles ou emblèmes (29). Parfois la logique capitaliste réagit pour réguler le marché. Toutes sortes d’industriels se sont approprié ce qui paraissait du commun : le fameux portrait d’Ernesto Che Guevara. Mais les détenteurs des droits d’auteur du photographe cubain Alberto Korda, sa fille et les ayants droits commerciaux de celle-ci, exigent leur part de la rente et l’obtiennent avec plus ou moins de succès car Korda avait exprimé la volonté que l’exploitation de sa photographie soit libre si elle l’était pour perpétuer la mémoire du Che ou pour promouvoir la justice sociale (30).
Quand Proudhon disait que « la propriété c’est le vol », il ne parlait pas d’autre chose que l’appropriation du commun naturel et du produit du travail ou de la pensée (31). La justification naturelle de l’appropriation (la force, l’intelligence), surnaturelle (les dieux, Dieu) fut remplacée par la justification démocratique de la république de la propriété (la liberté d’entreprendre, le mérite républicain), aidée par la bonne gestion et l’intérêt général, aujourd’hui, par l’invocation des bonnes pratiques ; on évoquera le principe de précaution.
Pour certains auteurs, il faudrait entendre « biens communs » comme une catégorie juridique autonome, différente de la propriété privée et de la propriété publique. Ils abordent cette question par le biais de la privatisation par l’État de biens ou de services publics. L’État gérant ses biens et services au nom de la collectivité transforme son mandat de gestion en titre de propriété pour les aliéner à l’occasion (32).
Hardt et Negri donnent enfin au commun un dernier sens. Celui du droit à la différence, à la coopération des singularités de la multitude opposée à l’uniformatisation dans l’universalisme républicain qui fait corps avec l’aliénation et la domination du capital et de l’État (33). Sa diversité infinie (sociale, culturelle, communautaire, catégorielle…) « permet à la multitude de “faire multitudeˮ […]. Le commun est pour elle à la fois une condition et un résultat » (34).
Corrompu par la privatisation publique ou privée qui impose des hiérarchies sociales, par les institutions – famille, entreprise, nation – qui l’affaiblissent, le commun n’en reste pas moins le socle du projet politique postlibéral et postsocialiste vers le communisme car penser le commun, le devenir social de l’homme, permet de « construire des lignes d’organisation pour les luttes et pour détruire par la force le pouvoir et l’exploitation capitalistes » (35). Une dernière phrase de Michael Hard montre l’imbrication du commun dans les représentations d’Empire et de multitude :
« La production biopolitique, en particulier par la façon dont elle excèdeles limites des rapports capitalistes et se réfère constamment au commun, confère au travail une autonomie de plus en plus importante et fournit les instruments et les armes [de la multitude] qui pourraientêtre maniés dans un projet de libération [de l’Empire] » (36).
L’Empire, parfait biopouvoir
Empire et impérialisme ne doivent pas être confondus (37). L’impérialisme est le fait d’un État qui cherche soit à repousser ses frontières, soit à dominer d’autres États par la menace militaire, la pression économique, l’invasion culturelle. Le premier aspect de l’impérialisme, annexionniste ou colonisateur, a disparu. Par contre, le second, qui peut prendre une forme néocoloniale, sévit toujours bien que sa dernière heure semble arrivée avec l’échec du coup d’État des États-Unis qui a suivi les attaques du 11 septembre 2001 sur le World Trade Center et le Pentagone. Les États-Unis ne peuvent plus prétendent régir le monde unilatéralement (38). L’impérialisme est en passe d’être remplacé par l’Empire qui recouvre une autre dimension géopolitique ; pour l’heure, la logique impérialiste et la logique impériale « coexistentet rivalisent au sein d’un seul appareil politico-militaire » (39), mais pour Hardt et Negri la fin de l’histoire est connue (40).
Au contraire de l’impérialisme, « l’Empire n’établit pas de centre territorial du pouvoir et ne s’appuie pas sur des frontières ou barrière fixées. C’est un appareil décentralisé et déterritorialisé de gouvernement, qui intègre progressivement l’espace du monde entier à l’intérieur de ses frontières ouvertes et en perpétuelle expansion » (41). La mondialisation de l’économie grâce au développement du capitalisme cognitif attenue, dans un mouvement lent mais inexorable, la souveraineté des États-nations et leur capacité de régulation au profit de cette nouvelle entité insaisissable, un « espace lisse », une « u-topia », un « non-lieu » (42) ; le centre de l’Empire est partout et nulle part, c’est un pouvoir en réseau (43).
Les États-Unis sont une pièce de l’Empire, certes importante, mais non déterminante et en voie d’affaiblissement ; ils doivent composer avec d’autres États, des multinationales et des organisations internationales politiques (Organisation des Nations unies, Union européenne…), financières (Fonds monétaire international, Banque mondiale…), commerciales (Organisation mondiale du commerce, Organisation des pays exportateurs de pétrole…) ou militaire (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) et même avec les grandes organisations humanitaires non gouvernementales. Dans le réseau de l’Empire tous ses éléments n’ont pas la même importance « mais, malgré ces inégalités, ils doivent coopérer afin de produire et de préserver l’ordre global avec toutes ses divisions et ses hiérarchies internes » (44). Dans Commonwealth, Hard et Negri précisent que cette pluralité de pôles et le débordement d’activité du capitalisme cognitif produisent « un assemblage d’acteurs, étatiques et non-étatiques qui instaurent de nouvelles formes d’autorité, déterminent de nouvelles normes et pratiques de régulation et de gestion » (45). Coopération et assemblage veulent dire que la formation impériale est structurée. Elle l’est sur trois niveaux : un souverain, une aristocratie mondiale, les représentants du peuple.
Au centre, l’aristocratie mondiale composée principalement par les agents économiques et financiers, les capitalistes, « ne fait que lutter sans répit pour négocier une relation plus avantageuse, pour forcer le monarque à collaborer et s’assurer une large part des profits » (46). Mais elle a besoin d’ordre, elle ne peut donc se passer du souverain, puissance composite qui préserve la stabilité militaire, sociale, financière et culturelle. Par exemple, s’agissant des États, l’Empire entend qu’ils conservent une fonction de police sur leur territoire et, si l’un est défaillant, un ou des États, des organismes internationaux peuvent être mandatés pour rétablir l’ordre comme, sur le terrain militaire, la France en Côte d’Ivoire ou au Mali, comme, sur le terrain économique, la troïka (Union européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international) en Grèce.
D’un autre côté, l’aristocratie mondiale doit négocier et collaborer avec les représentants du peuple, le niveau inférieur de la pyramide impériale. Il s’agit, principalement, des élites politiques, « parents pauvres de l’aristocratie qui essaient de ramasser leur part du butin », des églises, des organisations non gouvernementales, des médias, des cercles d’expertise… Ils ne représentent qu’eux-mêmes car « ils n’existent en fin de compte aucun moyen adéquat de représentation ni de peuple global à représenter ». Leur rôle n’est pas là. Comme dans le États-nations, il est de fournir les mécanismes de médiation et de contrôle « pour contenir la multitude bouillonnante » (47), pour laisser l’aristocratie développer ses affaires.
Ces trois niveaux ne peuvent fonctionner seuls, ils ont besoin l’un de l’autre pour constituer le parfait biopouvoir (48). Á la différence du capitalisme archaïque, l’intelligence de l’exploitation de l’Empire lui fait rechercher une « paix perpétuelle et universelle, en dehors de l’histoire » (49), même si, en cas de résistance, il se résout à mener des guerres sanglantes contre la multitude.
Cette idée d’un Empire potentiellement et partiellement vertueux peut conduire Negri à soutenir des positions paraissant énigmatiques tel le « oui » au référendum sur la constitution européenne en 2005. Daniel Bensaïd avance cette explication : « Cette confiance inébranlable dans le “toujours plus ˮ [du progrès, de la conscience de la multitude, du parasitisme des gouvernants…] que chaque jour apporte n’est pas sans conséquences pratiques. Elle fonde un jugement positif sur les vertus progressistes de l’Empire face à l’impérialisme archaïque des États-Unis et la possibilité d’alliances tactiques avec ses “aristocraties ou ses élites globalisées ˮ. Au nom de cette vision, le traité constitutionnel européen peut devenir acceptable en dépit de ses insuffisances comme un petit pas dans la bonne direction » (50).
Quels que soient les compromis factuels et les opportunismes temporels dont ils conviennent, et qui se retrouveront dans l’obsédante et peut-être inutile question « réforme ou révolution ? », Hardt et Negri ne manquent jamais de souligner que la seule menace sérieuse du système impérial se trouve dans les résistances de la multitude, non dans le parti bolchévique de Daniel Bensaïd.
La multitude, forge de la révolution
La multitude est l’Empire et le contre-empire. Elle est l’Empire en ce qu’elle en est le sang qui crée, produit, lui permet de se développer, l’oblige à se transformer en permanence pour s’adapter aux résistances (51). La multitude est le contre-empire quand elle aspire à libérer son travail créatif et productif de l’exploitation et de l’expropriation par les forces souveraines qu’elle veut détruire et remplacer. Cette symbiose, inhérente au biopouvoir, qui fait de la multitude l’élément dynamique constitutif de l’Empire, est précaire, « la souveraineté impériale [étant] totalement dépendante des agents sociaux productifs sur lesquels elle règne » alors que « la multitude est potentiellement autonome et capable de “faire société » à elle seule » (52). Une analyse qui rappelle le schéma marxiste des rapports de dépendance entre le capitalisme et les travailleurs avec cette différence, soulignent Hard et Negri, que la multitude inclut toute la population, tout ce qui est susceptible d’être exploité physiquement et moralement : producteurs, consommateurs, usagers, les exclus de la société de marché, ceux qui n’ont pas le nécessaire, la multitude des pauvres (53). La multitude n’est pas le « peuple », ni la « nation » qui trouvent une unité artificielle dans le contrat social qui les soumet aux divers degrés des hégémonies étatiques ; elle n’est pas les « masses » où toutes les différences sont niée pour former un bloc (54) ; elle n’est pas non plus une « classe sociale » universalisant une des identités de classe existante. Pas même la classe ouvrière car « une politique de classe révolutionnaire ne veut pas que les ouvriers prennent le pouvoir et deviennent une nouvelle classe dirigeante » (55).
La multitude n’est pas non plus un sujet politique spontanée, c’est « un projet d’organisation politique » qui se fera par un passage « de l’être-multitude au faire multitude » (56). Quand cette multitude en soi deviendra une multitude pour soi, c’est-à-dire constituera « l’ensemble des mouvements politiques et l’expression concrète des besoins et des désirs sociaux » (57). Puissante union des singularités, sujet de la résistance, défiant toute tentative hégémonique, elle est l’énergie du monde ce qui en fera, le moment venu, le sujet de l’émancipation et de la libération, deux filles de la liberté (58). L’émancipation est facteur de désaliénation, elle permet de conquérir la liberté et l’identité, « la liberté d’être qui vous êtes vraiment » ; la libération a pour but la liberté de s’autodéterminer et de s’auto transformer, « la liberté de déterminer ce que vous pouvez devenir » (59). L’émancipation est nécessaire aux identités pour exister comme telles mais seule la libération permettra à la multitude d’aller au-delà des identités pour devenir politique et penser un projet politique des singularités, être « au centre du projet de transformation révolutionnaire » (60).
On comprend que le propos de Hardt et Negri n’est pas purement philosophiques comme ils l’écrivent parfois (61). Ils se fixent une mission politique :
« L’intellectuel doit être capable de créer de nouveaux agencements sociaux et théoriques, de traduire les pratiques et les désirs de luttes en normes et en institutions, de proposer de nouveaux modes d’organisation sociale. En d’autres termes, il n’y a pas de place pour les avant-gardes, ni même pour les “intellectuels organiques” au sein des forces du progrès, au sens gramscien. L’intellectuel est et ne peut être qu’un militant engagé, une singularité parmi d’autre embarquée dans un projet de co-recherche tendant à faire multitude » (62).
Réalistes, ils mesurent la difficulté d’un tel programme tant théorique que pratique :
« Nous nous trouvons en face d’un abîme, d’une inconnue stratégique. Tous les paramètres spatio-temporels et politiques de la délibération révolutionnaire à la Lénine ont été déstabilisés et les stratégies qui y sont associées sont désormais impraticables » (63).
D’autres stratégies sont possibles. Pour point de départ, comme pour évacuer un débat stérile qui paralyse la pensée et l’action, Hardt et Negri déclarent :
« Il n’y a pas de contradiction entre réforme et révolution […]. Il est donc inutile de nous creuser les méninges pour savoir si une proposition est réformiste ou révolutionnaire ; il importe bien plus de savoir si elle relève ou nom d’un processus constituant » (64).
Par processus constituant, pouvoir constituant ou volonté constituante, il faut comprendre : capacité à élaborer des normes, à imaginer des institutions, à concevoir une constitution véritablement démocratique.
Parallélisme syndicaliste révolutionnaire
Ce processus constituant n’est pas sans évoquer le syndicalisme révolutionnaire dont le but est de se passer des partis politiques pour renverser l’État et le capitalisme, de les remplacer par une société à son image, libertaire, autogérée et fédéraliste, forgée dans la lutte quotidienne d’action directe et la préparation de la grève générale (65). Le processus constituant en serait comme une version alter modernisée reprenant cette idée d’imbrication du politique et de l’économique, le premier ne l’emportant pas sur le second (66) :
« Dans tous les cas, reconnaître l’intersection entre le politique et l’économique n’est pas seulement essentiel pour décrire la vie sociale contemporaine, mais aussi pour construire les mécanismes et les pratiques de la prise de décision démocratique » (67).
Au début est le travail. Le travail bien fait, créatif, première valeur ouvrière. La conscience de classe vient ensuite, quand le travailleur comprend que son travail produit du profit ou de la rente capitalisés. À ces titres, comme les syndicalistes révolutionnaires, Hardt et Negri assignent à la production une mission cachée d’apprentissage du fonctionnement de la société libérée, d’acquisition d’une capacité politique :
« La capacité des producteurs à organiser une coopération de manière autonome et à produire collectivement de manière raisonnée a des répercussions immédiates sur le domaine politique puisqu’elle fournit les outils et les modes de prise de décision collective […]. Se concentrer ainsi sur la construction de la multitude nous permet de reconnaître que son activité productrice est aussi un acte politique d’autoformation » (68).
Ont cette finalité éducative, les résistances, exprimées dans des revendications immédiates au travail comme dans la vie quotidienne. Elles sont nécessaires parce que « le processus révolutionnaire doit se lier à des réformes concrètes » (69) pour forcer les gouvernements, les patrons et autres institutions de la gouvernance mondiale à restituer une part du commun qu’ils s’approprient, pour lutter contre la subordination. C’est pour cela qu’il est utile de s’engager auprès des institutions étatiques dans lesquelles on inclura les institutions légales de la représentation du personnel, sans perdre du vue que « la libération ne peut que vouloir leur destruction » et leur replacement par d’autre institutions « mais d’un genre différent » (70). Plus largement, en leur réclamant des infrastructures matérielles nécessaires à la production biopolitique, des infrastructures sociales et intellectuelles, des infrastructures d’information, d’éducation et de culture, des infrastructures pour répondre aux contraintes technologiques de la recherche avancée, en exigeant la liberté de migrer (71) et la liberté du temps pour construire des relations sociales et créer des institutions sociales autonomes pour interagir socialement, non seulement l’action quotidienne améliore la vie mais pousse l’Empire à sa perte en formant et conscientisant la multitude (72).
Hardt et Negri donnent des exemples de revendications concrète pouvant être satisfaites dans la sphère publique : le droit à la santé, l’accès universel à l’éducation, la discrimination positive contre le racisme, la xénophobie et le sexisme ou encore « une démocratie de base assise sur des structures municipales » (73). Il en est une qui leur tient à cœur : celle d’un salaire social universel qui assure un revenu garanti pour tous et sans contrepartie (74). Il ne s’agit pas d’un plancher de protection comme il en existe dans plusieurs pays tel le revenu minimum d’insertion (RMI) puis le revenu de solidarité active (RSA) en France, mais bien d’un revenu minimum garanti, suffisant pour vivre correctement, indépendant de la prise en compte du travail et, ajoutent Hardt et Negri, qui « est dans l’intérêt du capital » (75). Juridiquement, c’est une créance sur l’Empire dont l’existence seule du sujet est la justification (76).
Parfois, Hardt et Negri poussent loin le bouchon quand ils exigent des gouvernements en place le droit à la réappropriation (Telos). Ce droit est ainsi formulé : « rendre libre d’accès la richesse commune accumulée » (77) ; plus précisément, le droit à réappropriation est « avant toutes choses, [le] droit à la réappropriation des moyens de production », « le droit de la multitude à l’autocontrôle et l’autoproduction autonome » (78). Arrivé à l’expression de ce droit on ne peut être que parvenu au moment opportun de la rupture révolutionnaire. Ce que Hardt et Negri appellent « le Kairòs de la multitude » (79).
La résistance de la multitude n’a donc pas de limites et la lutte des classes qui la soutient n’est pas dissoute parce que la classe ouvrière n’en est plus le moteur unique. Chez Hard et Negri, elle prend le nom générique d’exode (80). L’exode ne signifie pas nécessairement partir ailleurs, ce sont toutes les formes du « processus de soustraction à la relation avec le capital par l’actualisation de l’autonomie potentielle de la force de travail » (81). L’exode prend des figures infinies, légales ou illégales : grèves, sabotages de la production, émeutes, insurrections, piratages des systèmes de communication ou, des formes plus élaborées, toutes « préfigurations concrètes d’un pouvoir alternatif » (82). Propositions de réformes, action directe ou tensions subversives, « chacune de ces doléances porte en elle un projet démocratique, et les luttes sont la chair de la multitude » (83), luttes contre le travail pour la défense de la liberté de la créativité biopolitique, luttes contre la dépendance salariale, ses violences et son instabilité, luttes contre le capital pour inventer une nouvelle organisation démocratique des forces productives, de nouvelles institutions (84). Cette volonté d’exode, de soustraction résistante par les luttes, forge la « volonté constituante» quand « on commence à entrevoir de nouvelles institutions du commun » (85).
C’est le moment pour Hardt et Negri de réaffirmer quelques principes qui replacent leur démonstration dans la continuité historique du mouvement social pour leur permettre d’aborder dans la légitimité communiste la périlleuse question de l’organisation. « L’exploitation reste, rappellent-ils, le fondement de cette société, […] le travail vivant est donc une poutre maîtresse et […] la multitude doit subir l’autorité capitaliste. C’est contre le souverain que l’indignation se soulève et contre lui que la révolte doit être dirigée » (86). Ils ajoutent que l’objet de la révolution « n’est pas de tuer les capitalistes mais de détruire les structures et les institutions sociales qui maintiennent leurs privilèges et leur autorité, abolissant ainsi les conditions de la subordination prolétaire » (87). Dans cette logique, l’organisation qu’ils proposent, éloignée de la doxa marxiste, n’est pas le syndicalisme révolutionnaire historique avec ses syndicats et ses bourses du travail fédérés, mais elle s’en approche, tout en restant dans le vague réticulaire, dans une douloureuse gestation multitudinaire (88). Leur projet, comme celui des syndicalistes est porteur d’une double relation qui fait que les acteurs (les travailleurs, la multitude) sont à la fois « dans » et « contre » : dans la société pour s’en approprier une part des richesses, contre la société pour en détruire les hiérarchies politiques et économiques. « C’est une construction obstinée et fondamentale », disent Hardt et Negri (89) ; celle de « la pensée solaire » où « la nature a toujours été équilibrée au devenir », plaide Albert Camus par « esprit syndicaliste et libertaire» (90).
L’organisation multitudinaire
« Il n’y a pas de révolution sans organisation » (91). Il n’y a pas d’organisation « sans luttes qui se lient l’une à l’autre », ce qui implique que « l’auto-organisation est la cellule première de chaque processus organisationnel » autrement dit, il n’y a pas d’organisation « sans la capacité d’unir la spontanéité et la volonté commune » (92). La question centrale est d’inventer une forme d’autorité démocratique qui convienne au processus révolutionnaire, c’est-à-dire « une autorité active autonome que la multitude, prise dans son ensemble, s’impose à elle-même » (93). C’est une condition nécessaire pour que la multitude se mute en organisation politique adéquate parce que, d‘un côté, elle « insiste sur la multiplicité des singularitéssociales dans la lutte » et, d’un autre, elle « cherche à coordonner leurs actions et à maintenir leur égalité dans des organisations structurées horizontalement » (94). Pour les marxistes que sont encore Hardt et Negri, la forme-parti, bolchévique ou socialiste, si elle pouvait avoir une prémisse « rationnelle et compréhensible » fondée sur l’efficacité, s’est révélé corrompue et a conduit « subrepticement, mais de manière implacable », à la tyrannie bureaucratique, à la séparation d’avec l’expérience du mouvement social, à la logique de l’aliénation capitaliste… « Non, le parti ne vaincra pas le mal » (95).
L’organisation sera « constructive, expansive et constituante » (96). L’idée de Hardt et Negri est que l’interaction entre le commun et la multitude des singularités, multipliant les luttes, les réseaux, les relations personnelles, va substituer sa production biopolitique à celle du capitalisme et marginaliser le pouvoir souverain au point qu’ils ne puissent réagir à leur disparition. Le nouveau monde phagocyte l’ancien, s’y soustrait, le subvertit et finit par s’y substituer. Pacifique ou violent, l’événement sera toujours insurrectionnel et constituant dans la mesures où la multitude saura dépasser les malentendus, les conflits internes « souvent triviaux et ennuyeux » (97).
« Nous ne sommes pas face à une alternative – soit l’insurrection soit la lutte institutionnelle, la révolution passive ou active. Au contraire, la révolution doit simultanément être une insurrection et une institution, une transformation structurelle et super structurelle. Tel est le chemin du “devenir-Prince” de la multitude » (98).
S’agissant de la lutte armée, Hardt et Negri sont clairs : « Nous estimons qu’une “multitude désarmée” est aujourd’hui bien plus efficace qu’un groupe armé, et que l’exode est plus puissant que l’assaut frontal » (99). Toutefois, ils n’écartent pas le recours à la force contre la répression et la contre-révolution conscients que le capitalisme chancelant, condamné par l’histoire, peut trouver des Chouans pour défendre d’ultimes privilèges (100).
Avant d’en arriver là, il faut faire un effort d’imagination pour comprendre comment la multitude, « la seule figure capable aujourd’hui de révolution » (101) s’organise (constructive), se met en marche (expansive), invente de nouvelles normes économiques, juridiques et politiques (constituante). D’une telle organisation, il n’est, pour l’heure, que des bribes éparpillées à la mesure de la diversité des actes de résistance : ici des syndicats et des associations de toutes natures, là des regroupements ponctuels pour une lutte locale ou nationale, ici encore des expériences de production coopérative, ailleurs des actions d’expropriation, mais aussi des révoltes, des émeutes sans perspectives apparentes ; toutes ces forces anticapitalistes s’intègrent au réseau biopolitique dès qu’elles communiquent, échangent, coopèrent pour former une intelligence collective, « une intelligence en essaim» (102) ; l’organisation se résout dans la prise de décision. En 2004, Hardt et Negri croient que les mouvements altermondialistes constituent « l’exemple le plus développé du modèle d’organisation réticulaire » (103). L’échec annoncé, aujourd’hui avéré, de cette tentative organisationnelle, n’est pas sans appel ; il ne tue en rien la nécessité d’une organisation – globale dans son projet, mondiale pour son territoire. Pour Hardt et Negri, la structure réticulaire continue d’être « le modèle d’une organisation absolument démocratique qui correspond aux formes dominantes de la production économique et sociale, et qui représente aussi l’arme la plus puissante contre la structure du pouvoir en place » (104). On se demande alors si ne perce pas une contradiction : soit la multitude reste une pluralité des singularités au fonctionnement strictement horizontal avec la crainte d’une incapacité à décider et agir, soit elle met en place une structure verticale au motif de l’efficacité avec le risque de voir ressurgir le parti et ses effets destructeur. Hardt et Negri considèrent cette objection, comme d’autres (105), mais seulement à titre de points de vue qui ne remettent pas en cause fondamentalement leur proposition, qu’ils résument ainsi :
« Les luttes révolutionnaires parallèles doivent découvrir comment croiser les événements insurrectionnels et maintenir leurs processus dans des formes institutionnelles. Par là nous n’entendons pas les figer dans des procédures bureaucratiques mais rendre leurs rencontres constituantes reproductibles et leur processus de transformation durable, créer des corps politiques persistants » (106).
Néanmoins, sans qu’ils l’avouent, ces critiques les obligent à étayer leur proposition organisationnelle. Ayant fermement écarté le parti, l’affaire n’est pas facile pour eux. Alors, ils esquissent la question du fédéralisme. Un fédéralisme qui sert « à articuler une large variété de pouvoirs et à assurer les médiations entre plusieurs institutions politiques aux objectifs distincts », qui essaie « d’instaurer une logique de réseau capable de gérer les conflits et de rendre compatibles les fragments de la société globale » (107). Ils ne s’aventurent pas plus loin. Si cette référence au fédéralisme est autre chose qu’un faux-fuyant, il leur faudra se plonger dans les écrit du triumvirat Proudhon, Bakounine, Kropotkine, plus quelques autres théoriciens anarchistes classiques ou contemporains pour constater que, dans son principe, la question du fédéralisme libertaire est plus avancée qu’ils ne l’imaginent (108).
Une transition à durée indéterminée
Á supposer donc que cette organisation fédérale en réseau « absolument démocratique » soit possible, qu’elle sache inventer de nouvelles procédures pour conjuguer efficacité, liberté et différence, que grâce à son travail quelques revendications universelles aboutissent, que son souci critique rallie des foules et que son sérieux permette une prise de risques calculée pour enclencher, au bon moment, le processus révolutionnaire et le faire aboutir, que fera-t-on quand le possible sera devenu le réel ? Démocratie ou communisme ? Socialisme puis communisme, bien sûr. Hardt et Negri empruntent le chemin marxiste-léniniste traditionnel du dépérissement de l’État et l’adaptent à leur théorie. Negri spécialement le trace dans un livre sur l’Amérique latine écrit avec Giuseppe Cocco :
« Parce que la révolution n’est pas possible dans un seul pays, parce qu’une seule classe ne peut certainement plus s’affirmer comme hégémonique, parce ce qu’enfin la souveraineté de toutes les nations est limitée par les processus tendanciels de constitution impériale (militaires, monétaires, financiers et culturels), seule la poussée continue de la transformation “par en bas ˮ dans chacun des pays de l’horizon mondial peut permettre la contestation et la réorganisation permanente de l’ordre global. Les déterminations tactiques et les médiations transitoires qui se sont révélées nécessaires (même si elles sont souvent accusées de trahir une indiscutable orthodoxie révolutionnaire) se constituent en réalité à l’intérieur d’un rapport efficace avec les mouvements, et dans une réflexion soucieuse d’éviter les guerres, les catastrophes et la répression » (109).
Ce programme n’est pas autre chose que le socialisme tel que l’auraient voulu ses plus honnêtes partisans. Un socialisme ou le gouvernement est à l’écoute des mouvements sociaux, poussé par eux dans une interdépendance pour constituer ce que Negri et Cocco appellent « un véritable New Deal constituant ».
La première édition de l’ouvrage de Negri et Cocco est parue en 2005 au Brésil. Elle se voulait sinon un soutien ouvert au gouvernement de Lula entré en fonction en 2003, au moins une incitation à ce qu’il renforce le rôle des mouvements sociaux. On connaît la suite, l’inexorable virement social-démocrate, le ralliement sans condition au capitalisme mondial, la corruption aux plus hauts niveaux de l’État, l’absence de soutien aux initiatives citoyennes qu’elles soient politiques ou économique, les quelques succès en matière de lutte contre la pauvreté ne compensant pas le déficit d’un bilan politique contrerévolutionnaire (110). L’hypothèse de Negri et Cocco est hypothéquée, « les vieux fétiches de la souveraineté et de l’Empire » ne seront pas brisés en Amérique du Sud (111). Et pour longtemps, puisque nulle part dans le monde les conditions de sa réalisation ne sont réunies, ni même amorcées (112).
Dans la construction marxiste de Hardt et Negri, la période intermédiaire vers le communisme est une étape pour, d’abord, « poursuivre l’événement insurrectionnel dans un processus de libération et de transformation » (113), c’est-à-dire « poser les fondements d’une constitution démocratique du monde » (114), aller, ensuite, vers « la démocratie absolue en action », celle « d’une organisation du pouvoir productif et politique comme unité biopolitique gérée par la multitude, organisée par la multitude, dirigée par la multitude » (115). La difficulté vient de l’usage du mot « démocratie » ; « la démocratie absolue en action » et toutes autres précautions langagières ne veulent-elle pas tout simplement dire communisme ? Dans l’exemple suivant « démocratie de tous » est synonyme de « communisme », du moins peut-on le comprendre ainsi :
« Être communiste signifie être contre l’État » […]. « Être contre l’État, cela signifie donc avant tout exprimer le désir et la force de gérer d’une manière radicalement démocratique – à travers une “démocratie de tous ˮ – l’ensemble du système productif, qu’il s’agisse de la division du travail ou de l’accumulation et de la redistribution de la richesse » (116).
Une autre difficulté sémantique, étroitement liée à la précédente, vient du concept de « pouvoir constituant » dans la mesure où, « tout comme l’insurrection doit devenir institutionnelle, la révolution doit elle aussi devenir constitutionnelle » dans une sorte de révolution permanente où les luttes « débordent sans relâche tout équilibre systémique, vers une démocratie du commun » (117). Si elle s’adapte à la démocratie radicale, au socialisme, au New Deal ou tout autre phase transitoire qui implique la survivance d’un pouvoir, serait-ce celui du peuple, la formule gêne l’aspiration au communisme car elle laisse entrevoir la survivance d’une souveraineté diffuse, d’un État peut-être en décomposition mais toujours là. Negri hésite :
« Le pouvoir constituant est la clef qui peut nous permettre d’anticiper et de réaliser la volonté révolutionnaire contre l’État ». […] « La lutte contre l’État et contre toutes les constitutions qui l’organisent et le représentent doit contenir en elle-même la capacité de produire, à travers un nouveaux savoir, un nouveau pouvoir » (118). « Cette production du commun n’est ni dirigée depuis un centre de commandement ou un cerveau, ni le résultat d’une harmonie spontanée entre les individus. Elle a lieu dans un espace interstitiel, dans l’espace social de la communication. La multitude est forgée à travers les interactions sociales collaboratives » (119).
Ceci peut être dit sur un mode exempt de tout code philosophique, quand Hardt et Negri soulignent, sans ambiguïté, la nécessaire abolition de la souveraineté comme dans cet exemple de facture anarchiste :
« La multitude doit aujourd’hui abolir la souveraineté au niveau global. Telle est pour nous la signification du slogan “Un autre monde est possible ˮ : il faut détruire la souveraineté et l’autorité. Mais ce qui était l’objectif d’une avant-garde chez Lénine et les soviets doit aujourd’hui être exprimé à travers le désir de toute la multitude » (120).
Bien que la question d’un nouveau pouvoir étatique reste indécise, on sent comme un vent libertaire. Le blasphème ne peut échapper et ne peut que troubler un bon bolchévique :
Hardt et Negri « restent prisonniers d’une oscillation entre un discours libertaire radical – “il faut détruire la souveraineté et l’autorité ˮ […] – et la recherche d’une “nouvelle forme nécessaire de souveraineté ˮ qui ne va guère au-delà de spéculations institutionnelles sur la gouvernance mondiale et sur une “ Magna Carta contemporaine ˮ compatible avec les intérêts bien compris des nouvelles “aristocraties globales ˮ, dont les alliances internationales tissées par le gouvernement Lula donneraient un avant-goût » (121).
Le glissement anarchiste passe mal chez les conservateurs trotskistes car il est clair qu’il raisonne comme un appel à la convergence antiautoritaire. Le procès fait à Hardt et Negri par les docteurs de marxisme, n’est pas à propos ; il rigidifie le débat, pollue l’effort de convergence des révolutionnaires.
Une contribution à la convergence
L’apport de Hardt et Negri est important dans la quête du communisme que beaucoup ne croient pas plus raisonnable que celle du Graal. Hardt et Negri sont de ceux qui empêchent les pensées marxiste et anarchiste de se fossiliser, d’en sauver ce qui doit l’être pour la connaissance de notre société. Ils identifient les changements dans les conditions de travail et d’exploitation, les rapports de pouvoir, les possibilités de lutte et de résistance ; ils anticipent les problématiques futures et enrichissent notre capacité critique grâce à de nouveaux concepts ; ils entretiennent l’espoir révolutionnaire avec un projet total, ayant sa propre cohérence (122). Cependant, il est vrai que le lecteur qui n’a pas été dérouté par une démonstration aussi ardue que foisonnante, reste sur sa faim. Et l’impression est encore plus forte à la lecture de la dernière partie de Commonwealth, « Révolution » (123). L’organisation révolutionnaire n’est pas même esquissée, les réseaux de la multitude certes… mais ses sujets ont besoin, dès aujourd’hui, d’une organisation opérationnelle. Le nouveau monde, quand la multitude aura vaincu l’Empire, reste une idée abstraite ; abstraite dans ses superstructures parce que sans aperçu de la mise en place d’une constitution fédérale, sans une idée des nouvelles institutions communistes ; abstraite pour le socle social parce que sans indice sur les procédures à suivre pour mettre en route l’autogestion, muette sur le droit commun qui régira les rapports familiaux, politiques, économiques, culturels entre les hommes et les femmes de la cité (124).
Cette impression risque d’être plus forte encore pour ceux qui, chaque jour, dans les syndicats, dans les associations, dans les collectifs, seuls parfois, se confrontent à une parcelle de la puissance impériale et ont besoin de se réorganiser, les institutions actuelles étant trop intégrées à l’appareil étatique, ceux aussi, les mêmes souvent, qui ont besoin d’un idéal mobilisateur, d’un rêve éveillé, d’une utopie réalisable. D’où ce recours répétitif de Hardt et Negri à l’échappatoire connue et consensuelle du répertoire marxiste duquel n’ont encore pu se détacher les penseurs radicaux :
« Aucun schéma directeur ne naîtra jamais d’une formulation théorique telle que la nôtre : il ne pourra naître que dans la pratique » (125). Réitéré dix ans plus tard : « Nous ne sommes pas encore en mesure de décrire les structures et la fonction de cette démocratie, mais nous comprenons au moins qu’il faut soigner les maux du capital et soutenir l’expansion de la production biopolitique » (126).
« Pas encore », mais quand ? Dans un prochain livre ? La multitude peut-elle indéfiniment espérer dans les jaillissements spontanés de la pratique communiste ?
En attendant, le militant curieux et consciencieux qui veut accéder aux apports de Hardt et Negri, se débrouillera avec une rhétorique âpre mais stimulante, un discours politique parfois sentimental où l’amour joue un rôle moteur dans la convergence des singularités (127), où le bonheur est un nécessaire politique indispensable à l’auto-organisation (128) et le rire une arme fatale (129). Il se déplacera dans un paysage cybernétique effrayant de fin du monde où l’Empire semble triompher quand surgit la multitude invincible (130). Au fil des pages, Empire, multitude et commun se constituent en mythe (131). Des mythes soréliens (132).
Reconnaissant d’un travail considérable, d’une contribution essentielle à la multitude des idées utiles à la convergence des révolutionnaires, dédions à Hardt et Negri ce « Vive la Commune, foutre !» du Père Duchêne, marchand de fourneaux :
« La Commune, c’est tout simplement la Ville de Paris, s’administrant elle-même, adoptant les mêmes mesures pour tous ses enfants, prenant pour tous les mêmes soins, ayant pour tous le même souci et n’ayant pas plus de rigueurs pour les uns que pour les autres » (133).
Il n’avait pas lu Spinoza, le bougre.
Texte libre de droits avec mention de l’auteur : Pierre Bance
Source : Autrefutur.net – site pour un Syndicalisme de base, de lutte, autogestionnaire, anarcho-syndicaliste & syndicaliste révolutionnaire
NOTES
1 – Michael Hardt, né en 1960 à Washington, est professeur de littérature et d’Italien à l’Université de Duke (Caroline du Nord) dont il est le doyen. Il doit sa notoriété, en France, à sa collaboration avec Antonio Negri qu’il a connu à Paris dans les années 1990. On ne lui connait pas d’activité militante. La vie d’Antonio (dit Toni) Negri est plus romanesque. Né en 1933 à Padou, il est le fils d’un fonctionnaire communiste et d’une institutrice catholique. Á partir de 1969, il enseigne la philosophie politique à l’Université de Padou. Dans les années 1970, figure de l’autonomie ouvrière italienne, il est accusé d’être le cerveau des Brigades rouges et de complicité dans l’enlèvement et l’assassinat, en 1978, de l’ancien président du Conseil et chef de file de l’aile progressiste de la Démocratie chrétienne, Aldo Moro. Il sera arrêté en avril 1979. Condamné à trente ans de prison sur l’unique motif d’association subversive (peine réduite par la suite à dix-sept ans), il est élu député du Parti radical italien en 1983 et bénéficie ainsi d’une immunité parlementaire qui lui permet de sortir de prison. Quelques mois plus tard, son immunité est levée par le Parlement et Negri fuit en France où il enseigne les sciences politiques à l’Université de Paris VIII (Vincennes). Il retourne en Italie en 1997 pour exécuter sa peine ; après six ans et demi de prison dont la moitié en semi-liberté, il fait l’objet d’une libération définitive en avril 2003. Bien que devenu philosophe de renommée mondiale, une partie l’opinion publique italienne ne lui pardonne pas son passé.
2 – Jacques Rancière, L’impureté politique, entretien réalisé par Marcelo Rezende pour la revue brésilienne Cult, n° 83, août 2004, texte reproduit in Moments politiques. Interventions 1977-2009, Paris, Montréal, La Fabrique éditions, Lux, 2009, 232 pages, citation page 162. Dans ce texte, Jacques Rancière s’affirme le plus critique des critiques de la philosophie de Michael Hardt et Antonio Negri (Pierre Bance, Jacques Rancière, l’anarchique, Autre futur.net, 11 octobre 2012, http://www.autrefutur.net/Jacques-Ranciere-l-anarchique). Negri ne se laisse pas impressionner par les propos de Rancière, il lui répond : « Quand le discours de l’émancipation ne repose pas sur l’ontologie, il devient utopie, rêve individuel et laisse les choses en l’état » (Antonio Negri, Est-il possible d’être communiste sans Marx ?, traduit de l’italien par Jacques Bidet, Actuel Marx, n° 48, Communisme, deuxième semestre 2010, page 46, citation page 51).
3 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth (The Belknap Press of Harvard University Press, 2009), traduit de l’anglais (États-Unis) par Elsa Boyer, Paris, Stock, 2012, 508 pages, citation page 406. Ou encore, dès l’introduction, page 11 : « En répondant à ses propres besoins, la production capitaliste contemporaine ouvre la possibilité et pose les bases d’un ordre social et économique fondé sur le commun ». Dans un article en ligne, La puissance du commun, le professeur de philosophie politique de l’Université de Nanterre, Stéphane Haber, a perçu dans ce livre comme le retour à un marxisme « économiciste » avec pour centre de gravité « une critique du capitalisme contemporain d’inspiration communiste » (La Vie des idée.fr, 31 mars 2010, http://www.laviedesidees.fr/La-puissance-ducommun.html).
4 – Michael Hardt et Antonio Negri, Empire (Harward University Presse, 2000 ; Exils, 2000), traduit de l’anglais (États-Unis) par Denis-Armand Canal, Paris, 10/18, Fait et cause, 2004, 571 pages. Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude. Guerre et démocratie à l’âge de l’Empire (The Penguin Press, 2004 ; La Découverte, 2004), traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Guilhot, Paris, 10/18, Fait et cause, 2006, 407 pages.
5 – Dans Multitude, ils écrivent : « Un ouvrage philosophique […] n’est pas le lieu pour dire si le temps de la décision politique révolutionnaire est imminent ou non », ni « ne saurait répondre à la question « Que faire ?ˮ » (précité note 4, page 403). Alain Badiou partage ce point de vue : « Ce livre, je veux y insister, c’est un livre de philosophie. Contrairement aux apparences, il ne traite pas directement de politique (même s’il s’y réfère) ni de philosophie politique (même s’il propose une forme de connexion entre la politique et la philosophie) » (L’Hypothèse communiste, [Fécamp], Nouvelles éditions Lignes, Circonstances, 5, 2009, 208 pages, citation page 32). Slavoj Žižek est encore plus direct : « Le devoir d’un philosophe n’est pas d’inventer un programme ou de trouver des solutions politiques, mais de montrer comment la perception biaisée d’un problème peut le mystifier » (citation de 2007, à l’occasion d’un entretien réalisé par Laurent Etre et Rosa Moussaoui dans L’Humanité du 26 janvier 2010). Il est courant dans le monde syndical de considérer que le point de vue militant, même erroné, est toujours plus vrai que la plus belle construction du philosophe, que la prétention la plus scientifique du sociologue, car il recèle un potentiel de réalisation, d’efficacité que la pensée savante n’aura jamais.
6 – Antonio Negri, Communisme : quelques réflexions sur le concept et la critique traduit de l’Italien par Luca Salza, in L’idée du communisme, Conférence de Londres, 2009, sous la direction d’Alain Badiou et Slavoj Žižek, [Fécamp], Nouvelles éditions Lignes, 2010, 352 pages, intervention de Negri page 219.
7 – Michael Hardt et Antonio Negri, Empire, précité note (4), page 258. Les auteurs font allusion au livre de Karl Marx, La Guerre civile en France (1871), récemment republié avec une postface de Mathieu Léonard, Genève-Paris, Entremonde, 2012, 156 pages. Voir pages 49 et suivantes, et pages 114 et suivantes des Matériaux sur l’État (extrait d’une première écriture de La Guerre civile en France).
8 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précitée note (3), page 8. Ou encore dans Empire : « Ce que nous espérons avoir apporté comme contribution, dans ce livre, est un cadre théorique général et une boîte à outils de concepts pour théoriser et agir à la fois dans et contre l’Empire » (précité note 4, page 20, « Dans » et « contre » sont soulignés par Hardt et Negri). Enfin dans Multitude : « Nous n’avons pas la prétention de formuler un programme d’action à l’usage de la multitude, mais plutôt de dégager les bases conceptuelles sur lesquelles peut s’ériger un nouveau projet démocratique » (précité note 4, page 373). Dans Commonwealth, Hardt et Negri sont plus précis sur le rôle assigné à l’intellectuel, donc à eux-mêmes, et dépassent nettement la prévention philosophique, voir ci-après note (62).
9 – Dans Multitude, précité note (4), Hardt et Negri estiment écrire dans « une langue accessible à tous » (page 11). Leur lecture exige en vérité un minimum de culture philosophique et politique. Aussi, pas mal de concentration pour suivre des idées qui fusent à chaque page et se répètent un peu plus loin sur un autre mode, pour accepter un style sophistiqué et un vocabulaire baroque avec des réminiscences du jargon marxiste qui donnent le tournis au lecteur. Des deux, Michael Hardt semble le plus pédagogue ; quand Antonio Negri écrit seul ou avec d’autres, le discours, plus volubile encore, emphatique, précieux, la démonstration plus théorique laissent perplexes plus d’un exégète consciencieux, serait-il fin philosophe.
10 – Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude, précité note (4), page 261. Dans un entretien sur Radio libertaire avec Charlotte Hess et Valentin Schaepelynck, Negri revient sur le concept de « travail immatériel » et déclare qu’il est faux, qu’il faudrait parler de « travail matériel d’une nouvelle forme » (Radio libertaire [rl.federation-anarchiste.org], émission Zones d’attraction [www.zonesdatraction.org], 21 janvier 2011, rediffusé le 8 février 2013)
11 – Michael Hardt, « Le commun du communisme », in L’idée du communisme, Conférence de Londres, 2009, sous la direction d’Alain Badiou et Slavoj Žižek, [Fécamp], Nouvelles éditions Lignes, 2010, 352 pages, intervention de Hardt page 162. Hardt ajoute « le fait que la rareté ne soit pas valable dans ces domaines pose de nouveaux problèmes pour la propriété » (page 163). Dans Commonwealth, précité note (3), la production du commun, le travail immatériel ou biopolitique font l’objet de longs développements, voir par exemple, le paragraphe « Les métamorphoses de la composition du capital », page 183.
12 – Un courant de pensée s’est constitué à partir de ces idées notamment autour de la revue Multitudes. Il considère que la gauche, parlementaire ou non, n’ayant pas compris cette évolution du capitalisme, est en retard d’une révolution. Un vocabulaire convenu, des catégories analytiques particulières conduisent à une abstraction et un hermétisme réservant les travaux des émules de Negri à un cercle d’intelligents alors que s’y développent des contributions originales sur les transformations du monde qui pourraient profiter à tous. Dans cette veine, voir aussi La Revue des livres (RDL) et les Éditions Amsterdam. Lire de Yann Moulier-Boutang et diverses contributions, Le Capitalisme cognitif. La nouvelle grande transformation, Paris, Éditions Amsterdam, « Multitudes-Idées », n° 1, édition revue et augmentée, 2008, 315 pages.
13 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 88.
14 – Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude, précité note (4), pages 120 et 121.
15 – « La conséquence de cette ontologisation, c’est que le “biopouvoirˮ et la “biopolitiqueˮ deviennent des sortes de signifiants-maîtres […] qui couvrent tout et rien, du droit de la famille ou des politiques de la santé aux camps d’extermination, et s’appliquent aussi bien aux formes de l’“État socialˮ qui a été leur référence d’origine qu’aux formes actuelles de privatisation de la protection sociale. L’anthropologisation de la politique permet de ramener tous les phénomènes sous un même schème d’explication vraisemblable. Mais je ne pense pas qu’elle rende compte des formes actuelles de la domination étatique appuyée sur la dépolitisation de problèmes et le jeu de cache-cache entre États nationaux et pouvoirs supranationaux ». « Je conteste donc ce discours récurrent qui nous dit que la vie est entièrement soumise et saturée. Je pense qu’il y quelque chose de très nocif dans l’idée de biopolitique quand on lui fait dire que la vie est entièrement gouvernée, que notre chair et notre sang sont gouvernés par la loi du pouvoir » (Jacques Rancière, Et tant pis pour les gens fatigués. Entretiens , Paris, Éditions Amsterdam, 2009, 700 pages, citation pages 245 et 658). Le rapprochement des deux positions déstabilise ; qui de Negri ou de Rancière a raison ? Il rappelle les limites du débat philosophique. Seule la réalité a raison mais la réalité n’est que celle que chacun de nous accepte. Pas plus Hardt et Negri que Rancière ne disent la vérité, ils nous livrent leur perception de la réalité enrichie par leur culture, leur réflexion, leur expérience… rien ne dit qu’elle soit plus pertinente que la nôtre par contre elle contribue à améliorer notre compréhension du monde et à aiguiser notre sens critique. Il est néanmoins courant d’entendre des militants syndicalistes dire que ces rhétoriques savantes embrouillent la pensée pragmatique et découragent l’action directe ; qu’il n’y a là que polémiques de philosophes obscures.
16 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 175.
17 – D’autant que l’appropriation du commun permet un retour de la rente à côté du profit. « Alors que le profit est avant tout généré par un travail interne au processus de production, la rente est généralement conçue comme un mode externe d’extraction » ; dans la production biopolitique, on extrait de la valeur du commun « sans que le capitaliste intervienne dans sa production », ce dernier jouit donc d’une rente (Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note 3, page 197). Voir aussi Antonio Negri, « La Démocratie contre la rente » in le recueil de textes d’Antonio Negri, Inventer le commun des hommes, Montrouge, Bayard, 2010, 298 pages, citation page 259. Ce texte a été publié dans Multitudes, n° 32, printemps 2008, page 127.
18 – Antonio Negri et Judith Revel, « Inventer le commun des hommes », in le recueil de textes d’Antonio Negri, Inventer le commun des hommes, Montrouge, Bayard, 2010, 298 pages, citation page 295. Ce texte a été publié dans Multitudes, n° 31, hiver 2007-2008, page 5. À cet égard, Commonwealth, précité note (3), eut été mieux titré par Le Commun.
19 – Christian Laval, « Réinventer le communisme, instituer les communs », Contretemps, n° 4, « De quoi communisme est-il le nom ? », 4e trimestre 2009, page 49 ; « doit » étant souligné par Christian Laval.
20 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 8.
21 – Comme s’il était l’abusus de leur droit de propriétaires. Usus, fructus et abusus forment les attributs normaux du droit de propriété. Qui dit capitalisme, dit trafic et corruption. Les crédits « carbone », résultant du protocole de Kyoto, qui permettent à des pays du Nord de financer des réductions d’émissions de gaz à effet de serre dans les pays du Sud, en échange de quotas de CO2, n’y échappent pas (Grégoire Allix, « Climat : la tension monte au sujet de millions de crédits carbone “bidonsˮ », Le Monde, 31 août 2010). La conférence de Doha (Kyoto II), en décembre 2012, n’a rien réglé (Laurence Caramel, « Après Doha, la négociation sur le climat affaiblie », Le Monde, 11 décembre 2012)
22 – Paul Benkimoun, « L’arsenic, un poison qui guérit », Le Monde, 4 septembre 2010. Pour d’autres exemples de l’appropriation du commun et sa restitution marchande, lire l’ouvrage collectif de l’association Vecam, Libres savoirs. Les biens communs de la connaissance, Caen, C & F Éditions, 2011, 352 pages, spécialement l’article d’Anupam Chander et Madhavi Sunder, « La vision romantique du domaine public », page 235, où il est montré que le régime international de la propriété intellectuelle génère un transfert de richesse des pays les plus pauvres vers les plus riches ; ils citent James Boyle : « le curare, le batik, les mythes et la danse Lambada suintent en abondance des pays du Sud… dans le même temps le Prozac, les jeans Levis, les romans de Grisham et le film Lambadda y sont massivement déversés ».
23 – C’est, en France, la loi Hadopi (Loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, Journal officiel du 13 juin 2009, page 9666)
24 – Chrystelle Barbier, « Soupçons de biopiratage sur des sociétés françaises au Pérou », Le Monde, 28 décembre 2006. On pourrait encore citer le point 7 du Manifeste de Porto Alegre signé, le 29 janvier 2005, par dix-neuf personnalités internationales lors du 5e Forum social mondial : « Interdire toute forme de brevetage des connaissances et du vivant (aussi bien humain, animal que végétal), ainsi que toute privatisation des biens communs de l’humanité, l’eau en particulier » (Á lire sur www.france.attac.org). Ou encore mentionner, le Protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage équitable des avantages tirés de leur exploitation d’octobre 2010, prévoyant qu’il s’applique aux savoirs traditionnels (Laurence Caramel, « Vingt objectifs à attendre d’ici à 2020 », Le Monde, 31 octobre 2010 ; Catherine Vincent, « Biodiversité : un plan de protection mais toujours pas d’argent », Le Monde, 8 octobre 2012). Pour entrer en vigueur, le protocole doit être ratifié par cinquante États, à ce jour, ils ne sont que neuf (Voir une tribune libre du 14 janvier 2013, sur le site de Libération, de quatre parlementaires d’Europe écologie-Les Verts intitulée : « Il faut mettre fin à la biopiraterie » (http://www.liberation.fr/terre/2013/01/14/il-faut-mettre-fin-a-la-biopiraterie_873943). S’agissant du brevetage des logiciels libres voir le site April, « promouvoir et défendre le logiciel libre » (http://www.april.org/).
25 – Lire, par exemple, dans le Dictionnaire du corps, l’article « Brevetabilité et génome » (Hélène Gaumont-Prat) (Dictionnaire du corps, Michela Marzano [sous la direction de], Paris, Presses universitaires de France, « Quadrige », 2007, 1054 pages).
26 – Antonio Negri et Judith Revel, « Inventer le commun des hommes », précité note (18), page 294. Également in Antonio Negri, « Communisme : quelques réflexions sur le concept et la critique » in L’idée du communisme, précité note (6), page 228. Jean-Jacques Rousseau pensait que ce qui appartient à tous, n’appartient à personne donc appartient à l’État, comme si l’État c’était nous (Article précité, page 292). La formule de Negri et Revel, typiquement syndicaliste révolutionnaire, dans leur logique, n’est pas juste, elle devrait être « Tout étant produit par tous, n’appartient à personne ». Ce dont se rapproche l’idée de partage : « Une démocratie de la multitude n’est envisageable et possible que dans la mesure où nous partageons tous le commun et y participons » (Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note 3, page 8).
27 – Dans une tribune libre sur Libération.fr du 24 janvier 2013, « Bientôt expropriés du patrimoine commun ? », Philippe Aigrain, Mélanie Dulong de Rosnay, Daniel Bourrion et Lionel Maurel expliquent comment la Bibliothèque nationale de France (BNF) cède à des entreprises privées l’exploitation commerciale d’œuvres anciennes numérisées (http://www.liberation.fr/medias/2013/01/24/bientotexpropries– du-patrimoine-commun_876517). Lire dans Le Monde du 9 février 2013 la réponse de Bruno Racine, président de la BNF, « La Bibliothèque nationale de France est en mesure de relever le défi de la numérisation ». Á noter encore, à propos des cartes de l’Institut géographique national, que des données gratuites ne sont pas des données libres ; seules ces dernières relèvent du commun, les premières renforcent au contraire le droit de propriété de l’État qui consent à la gratuité (Simon Descarpentries et Yohan Boniface, « Gratuites ou libres ? Les données ne sont pas données », tribune libre in Libération, 25 février 2013).
28 – Le Monde, 18 octobre 2000. La récupération peut intéresser la grande industrie. Lors de la création d’Areva, en 2001, une publicité diffusée dans la grande presse juxtapose le A cerclé avec la date 1907, le symbole pacifiste daté de 1969, le A d’Areva, 2001, et le slogan : « Le mieux-être est un combat permanent chez l’homme. Le voici aujourd’hui sous sa forme haute technologie » (entre autres, Le Monde, 11 septembre 2001). Á propos de « 1907 », on notera l’anachronisme, le A cerclé ayant été créé en 1964 (Gianluca Chinnici et autres, A cerclé : histoire véridique d’un symbole, Paris, Éditions alternatives, 2009, 128 pages). Peu importe, la publicité sera protégée par le droit d’auteur.
29 – En 1979, Antoinette Fouque dépose le sigle MLF à l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), au grand dam des autres courants féministes. Voir in Le Siècle des féminismes, sous la direction d’Éliane Gubin et autres, Paris, Les Éditions de l’atelier, 2004, 464 pages, les études de Christine Bard (page 118) et Michelle Fournel (page 229).
30 – C’est sur cette base que la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 10 septembre 2008 refuse le versement de droits pour la reproduction de la photo dans un livre agiographique sur Che Guevara, par contre, elle retient que le nom de l’auteur aurait dû être indiqué et que la photographie ne pouvait être retouchée sans autorisation (Décision commentée par Frédéric Pollaud-Dulian in la Revue trimestrielle de droit commercial, Dalloz, 2008, page 743). La même Cour d’appel, le 21 novembre 2008, nie à cette photo le caractère de marque commerciale communautaire (Décision commentée par Jacques Azéma in la Revue trimestrielle de droit commercial, 2009, page 704).
31 – Pierre-Joseph Proudhon, Qu’est-ce que la propriété ? (1840), Antony, Éditions Tops/Trinquier, « Œuvres de P.-J. Proudhon », 2004, 326 pages. Également en Livres de poche, Paris, Librairie générale française, « Classiques de la philosophie », 2009, 445 pages.
32 – Lire d’Ugo Mattei, « Le droit contre les privatisations. Rendre inaliénables les biens communs », Le Monde diplomatique, décembre 2011. Ainsi peut-on comprendre les syndicalistes révolutionnaires qui défendent le service public. Ils ne défendent par la propriété publique étatique mais un bien commun dont l’État n’est que le dépositaire provisoire en attendant qu’il ne tombe dans le commun de la société future.
33 – Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude, précité note (4), pages 354. Hardt et Negri s’inspirent de Michel Foucault qui écrivait : « il s’agit en fait de faire jouer des savoirs locaux, discontinus, disqualifiés, non légitimés, contre l’instance théorique unitaire qui prétendait les filtrer, les hiérarchiser, les ordonner au nom d’une connaissance vraie, au nom des droits d’une science qui serait détenue par quelques-uns » (Dits et écrits II. 1976-1988, Paris, Gallimard, « Quarto », 1994, 1736 pages, citation page 165).
34 – Antonio Negri, entretien avec Patrice Bollon, « Toni Negri, bâtir une nouvelle modernité » in Le Magazine Littéraire, n° 468, octobre 2007, page 88. Voir ci-après le paragraphe « Multitude » et notamment la note (58) sur la différence que font les auteurs entre identité et singularité.
35 – Antonio Negri, « Communisme : quelques réflexions sur le concept et la critique » in L’idée du communisme, précité note (6), page 230. Voir aussi, Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude, précité note (4), page 349 ; Commonwealth, précité note (3), page 479.
36 – Michael Hardt, « Le commun du communisme », in L’idée du communisme, précité note (11), page 174.
37 – Empire avec une majuscule comme dans État.
38 – Dans Commonwealth, précité note (3), voir le paragraphe « Brève histoire d’un coup d’État manqué », page 271. Pour une illustration d’un épisode de la tentative de coup d’État et comment les États-Unis ont pris la direction des opérations en Afghanistan, lire de Jean d’Amécourt, Diplomate en guerre à Kaboul, Paris, Robert Laffont, 2013, 358 pages.
39 – Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude, précité note (4), pages 83.
40 – « L’effondrement de l’unilatéralisme américain ne montre pas seulement l’échec du projet américain mais aussi et surtout celui de l’unilatéralisme lui-même. Nous vivons aujourd’hui une période de transition, un interrègne : l’ancien impérialisme est mort et le nouvel Empire est encore en train d’émerger » ; « l’échec de l’unilatéralisme ne peut […] pas conduire à la résurgence de ce qui passait pendant un temps pour son concurrent : le multilatéralisme » (Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note 3, pages 291 et 295). Il est un autre scénario de l’avenir : le choc des civilisations tel que l’avait envisagé le professeur américain Samuel Huntington (1927-2008). Les États qui partagent des affinités culturelles se regroupent autour des plus puissants, c’est ainsi que l’universalisme occidental conduit par les États-Unis va s’opposer aux prétentions universalistes de la Chine et, surtout, de l’islam. Les attentats du 11 septembre, l’activisme djihadiste ont redonné vigueur à cette thèse (Samuel P. Huntington, Le Choc des civilisations (1996), Paris, Odile Jacob, « Poches », 545 pages).
41 – Michael Hardt et Antonio Negri, Empire, précité note (4), page 17. « Décentralisé » et « déterritorialisé » sont soulignés par Hardt et Negri.
42 – Le rôle essentiel des États-nations dans la crise financière commencée fin 2007 a renforcé les critiques des positions de Hardt et Negri en montrant que les États ont réaffirmé leur pouvoir oligarchique sur une économie incapable d’assumer son autonomie en régulant ses dérives financières. Il a été aussi souligné que, contrairement à ce qu’ils disent, la crise n’a pas été provoquée par des luttes de la multitude (Voir, spécialement, les analyses de Jacques Rancière in Et tant pis pour les gens fatigués. Entretiens, précité note 15, avant la crise [2002], pages 295 et suivantes, et après [2009], pages 663 et suivantes, notamment la page 674). (43) Michael Hardt et Antonio Negri, Empire, précité note (4), page 239 ; Multitude, précité note (4), page 6. On retrouve là l’idée de Michel Foucault du pouvoir décentralisé, réticulaire, que Gilles Deleuze et Félix Guattari représentent par la métaphore du rhizome des plantes qui se multiplient sous terre par leurs racines (Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux. Capitalisme et schizophrénie, Paris, Éditions de minuit, « Critique », 1980, 645 pages, Introduction page 9). L’Empire rhizomique ne répond donc pas à la définition du droit public international de l’État : un territoire, une population, un pouvoir souverain identifié. Son territoire est sans frontière, sa population en mouvement et son gouvernement « anarchique ». Mais, l’idée d’un État mondial avec pour territoire la terre, pour population les êtres humains, pour gouvernement un conseil des ministres avec un président, ressurgit de temps à autre ; voir, par exemple, l’idée de « nouvelle Renaissance » de Stéphane Hessel et Edgar Morin, Le Chemin de l’espérance, Paris, Édition Fayard, « Essai », 2011, 64 pages.
44 – Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude, précité note (4), page 6. Lire la tribune libre du professeur de science politique François Godement, « L’Europe face aux défis chinois » dans Le Monde du 7 septembre 2009 qui montre les jeux subtils de pouvoir politiques et commerciaux au sein de l’Empire, étant entendu que l’auteur n’évoque pas ce concept.
45 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 302. Plus loin, ils écrivent : « De la même manière que les formes complexes de la gouvernance impériale instaurent une domination pendant l’interrègne actuel en terme de structures de pouvoir globales, un patchwork sophistiqué de structures juridiques et politiques nationales et transnationales soutient le fonctionnement de l’économie mondiale pendant la période actuelle de transition en régulant la production, le commerce, la finance et les rapports de propriété » (page 361). Une déclaration de Klaus Schwab, fondateur du Forum économique de Davos, illustre ces observations : « Nous parlerons de gouvernance mondiale. Le G20 a très bien fonctionné lorsque l’économie mondiale était au bord du précipice. Mais, après cinq ans de crise, les gouvernements sont désormais tentés par l’égoïsme et la préférence nationale » (Son portrait par Claire Gatinois dans Le Monde du 8 janvier 2013).
46 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 365.
47 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), citations pages 365 et 366.
48 – « Pour le dire autrement, le capital et la souveraineté se confondent totalement dans l’Empire », Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude, précité note (4), page 380.
49 – Michael Hardt et Antonio Negri, Empire, précité note (4), page 19.
50 – Daniel Bensaïd, « Multitude ventriloque », 14 novembre 2004, page 8, texte publié, entre autres, sur le site de la revue Multitudes (http://multitudes.samizdat.net/Multitudes-ventriloques#nh1). L’analyse trouve confirmation dans une tribune libre de Toni Negri, « La pire variante du souverainisme s’est imposée en Europe », Libération, 10 septembre 2010 ; la prise de position tactique de Negri, en 2005, s’éclaire : « L’Europe est en effet la seule puissance qui puisse représenter un pôle alternatif aux États-Unis dans le contexte pluriel de la mondialisation ». Voir aussi, Stéphane Haber, « La puissance du commun », précité note (3), qui parle de « capitalisme innocenté » ou encore de « travail innocenté ». Également, Philippe Raynaud, L’Extrême-Gauche plurielle. Entre démocratie radicale et révolution, Paris, Perrin, « Tempus », 2e édition, 2010, 272 pages, Chapitre sur l’Empire et les multitudes, page 149 : « La prise de position spectaculaire d’Antonio Negri en faveur du projet de constitution européenne et la sympathie qu’il a suscitée à cette occasion chez des “altermondialistes” aussi improbables que Daniel Cohn-Bendit ou Bernard-Henri Lévy me semblent assez mal augurer de son succès auprès des lecteurs du Monde diplomatique de la base militante d’Attac ».
51 – Selon le raisonnement opéraïste pour qui le capitalisme est le résultat des transformations que lui imposent les luttes ouvrières. Lire Claudio Albertani, « Toni Negri et la déconcertante trajectoire de l’opéraïsme italien » sur le site A Contretemps (http://acontretemps.org/), n° 13, septembre 2003, repris dans la revue Agone, n° 31-32, septembre 2003, p. 221.
52 – Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude, précité note (4), pages 380 et 263.
53 – « Le terme “pauvre” ne désigne pas ceux qui ne possèdent rien mais la vaste multiplicité de tous ceux qui sont pris dans les mécanismes de la production sociale sans tenir compte de l’ordre social ni de la propriété », « la peur des pauvres […] est immédiatement liée à une peur du communisme » (Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), pages 65 et 77).
54 – Dans leur dernier livre, Commonwealth, précitée note (3), Michael Hard et Antonio Negri ajustent leur analyse : « Alors que dans nos autres ouvrages nous avons souvent pris grand soin de distinguer la multitude de la cohue, de la foule et des masses, il est intéressant d’apercevoir ici la possibilité de récupérer ces formations sociales si leur indignation et leur révolte sont dirigées et organisées » (page 382) (il convient d’éviter un contresens, « récupérer » par la multitude elle-même, « dirigées » et « organisées » également par la multitude non par un parti ou une quelconque autre organisation). Sur cette ligne, Hardt et Negri consacre un long développement à la généalogie de la rébellion et particulièrement aux jacqueries des pauvres comme moteur de la résistance, de la pensée critique et du projet d’organisation (pages 318 et suivantes).
55 – Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude, précité note (4), page 432. Cette révision de la théorie marxiste est évidemment contestée par les orthodoxes, lire la sévère critique de Daniel Bensaïd in « Multitude ventriloque », précité note (50). Il est piquant d’entendre un intégriste marxiste dire à propos de Hardt et Negri que « la foi du charbonnier tient alors lieu de projet stratégique » (page 5). Le même auteur reprend son argumentaire fermé dans Éloge de la politique profane, Paris, Albin Michel, « Bibliothèques Idées », 2008, 359 pages, notamment aux pages 238 et suivantes, 279 et suivantes. Daniel Bensaïd, « intégriste » ? Le jugement doit être nuancé, l’auteur et le militant forment un personnage tiraillé entre une doctrine qu’il croit juste mais qu’il sait corrompue par l’histoire et inadapté au présent, voir Pierre Bance, « Lecture syndicaliste révolutionnaire de Daniel Bensaïd », Autre futur.net, 2 septembre 2011 (http://www.autrefutur.net/Lecture-syndicaliste). Pour une révision du concept de prolétariat opposé à ceux de multitude, pauvres ou précarité, voir Sarah Abdelnour, Les Nouveaux prolétaires, Paris, Textuel, « Petite encyclopédie critique », 2013, 144 pages.
56 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), pages 231 et 236. La multitude « semble à même de rendre compte de la pluralité actuelle des formes d’identité, d’oppression et de résistance » (Razmig Keucheyan, Hémisphère gauche. Une cartographie des nouvelles pensées critiques, Paris, La Découverte, « Zones », 2010, 318 pages, citation page 111). Mais, pour Daniel Bensaïd : la notion de multitude « n’en est pas moins théoriquement floue, sociologiquement imprécise et stratégiquement vide » (Éloge de la politique profane, précité note 55, page 279).
57 – Antonio Negri et Giuseppe Cocco, Global. Luttes et biopouvoir à l’heure de la mondialisation : le cas exemplaire de l’Amérique latine, Paris, Éditions Amsterdam, 2007, 218 pages, citation page 189. La multitude en soi étant « l’ensemble immédiat des mouvements sociaux » ; on retrouve la distinction marxiste de « classe en soi » et « classe pour soi ».
58 – Sur le concept de singularité et ses trois caractéristiques chez Hardt et Negri voir Commonwealth, précité note (3), pages 438 et suivantes. « La singularité présente le commun comme un champ de multiplicités et détruit la logique de la propriété. Ce que l’identité est à la propriété, la singularité l’est au commun » (page 439). L’affirmation de l’identité et la lutte identitaire qui peuvent avoir leurs justifications dans une société d’inégalité est à proscrire dans un autre futur : « Abolir l’identité, laisser derrière vous qui vous êtes, construire un nouveau monde sans race, genre, classe, sexualité et autres données identitaires est un processus d’une grande violence non seulement parce que les pouvoirs dirigeants lutteront sur chaque front, mais aussi parce qu’il nous demande d’abandonner certaines de nos identifications fondamentales et de devenir des monstres » (page 480).
59 – Hard et Negri, Commonwealth, précité note (3), page 429 ; « qui vous êtes vraiment » et « ce que vous pouvez devenir » sont soulignés par Hardt et Negri.
60 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 85. Sur les trois tâches de la politique identitaire, voir pages 426 et suivantes. « S’efforcer d’abolir l’identité est la troisième tâche politique nécessaire pour soutenir les deux premières, développer la fonction rebelle de l’identité et conduire la politique identitaire vers le projet révolutionnaire […]. L’autoabolition de l’identité est la clé pour comprendre que le projet révolutionnaire commence avec l’identité mais ne s’y arrête pas […]. Le projet d’abolition de l’identité joue donc le rôle traditionnel de l’abolition de la propriété et de l’abolition de l’État » (pages 440 et 441 ; « l’abolition de la propriété et de l’abolition de l’État » est souligné par Hardt et Negri).
61 – Voir note (5).
62 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 165. Jacques Rancière portera la contradiction : « Le nom d’“intellectuelˮ comme qualification d’un individu est vide de sens », « l’idée même d’une classe d’individus qui aurait pour spécificité de penser est une bouffonnerie que la bouffonnerie seule de l’ordre social peut rendre pensable » (Jacques Rancière, Moment politiques. Interventions 1977-2009, précité note 2, Avant-propos, page 15).
63 – Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude, précité note (4), page 115.
64 – Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude, précité note (4), page 333
65 – Pour une première approche historique et théorique du syndicalisme révolutionnaire, lire Émile Pouget, L’Action directe et autres écrits (1903-1910), textes rassemblés et présentés par Miguel Chueca, Marseille, Agone, « Mémoires sociales », 2010, 296 pages.
66 – Sur le concept d’altermodernité, au-delà de la modernité mais néanmoins distinct de la postmodernité, de l’anti-modernité ou de l’hyper-modernité (seconde modernité et modernité réflexive), voir Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), pages 144 et suivantes.
67 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), pages 459 et 460.
68 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), pages 237 et 238. Voir aussi pages 385, 399, 457. Á comparer avec cet extrait la contribution des Comités syndicalistes révolutionnaires au 50e congrès de la CGT (Toulouse, 18 au 22 mars 2013) : « Nous avons abandonné cette culture du travail qui était le ciment idéologique de la Confédération générale du travail depuis ses origines. La CGT représentait le monde du travail face aux parasites. Elle collectivisait les connaissances des producteurs. Ces connaissances devaient permettre de transformer les rapports de production, c’est-à-dire de permettre aux travailleurs de gérer les usines et les services » (http://www.syndicaliste.fr/). Pas plus que les syndicalistes révolutionnaires, Hardt et Negri ne sont spontanéistes : « Les gens ne sont pas capables spontanément, par nature, de coopérer les uns avec les autres librement et de gouverner le commun ensemble » (Commonwealth, précité note 3, page 469).
69 – Antonio Negri et Giuseppe Cocco, Global. Luttes et biopouvoir à l’heure de la mondialisation : le cas exemplaire de l’Amérique latine, précité note (57), page 196. La formule pourrait être d’Émile Pouget, et on la trouvera dans les écrits de Fernand Pelloutier, de Victor Griffuelhes, de Pierre Monatte, de tous les syndicalistes révolutionnaires.
70 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 460, et pages suivantes sur les institutions comme « composantes nécessaires du pouvoir insurrectionnel et révolutionnaire » (page 462) et comme forme d’« un pouvoir constituant plutôt que constitué » (page 465). Institutions d’un genre différent dont Hardt et Negri ne donnent nulle part une idée.
71 – « Le pouvoir de la multitude de se réapproprier le contrôle sur l’espace et de dessiner ainsi la cartographie nouvelle » (Michael Hardt et Antonio Negri, Empire, précité note 4, page 481). Reste à savoir si les migrations sont des actes de résistance à l’Empire quand elles sont guidées par la faim.
72 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), pages 401 et suivantes. Voir également, « les trois étapes [qui] constituent des revendications justes et raisonnables à proposer aux puissances dirigeantes actuelles » (pages 492 et suivantes). On pourrait, comme Stéphane Haber, parler de « réformisme révolutionnaire » (article précité note 3, page 9) ; cet auteur reproche à Hardt et Negri de ne pas porter suffisamment d’attention au contenu et à l’organisation du travail, aux conditions de travail notamment à la souffrance au travail, à la critique psychosociologique du travail en général (page 6).
73 – Antonio Negri et Giuseppe Cocco, Global. Luttes et biopouvoir à l’heure de la mondialisation : le cas exemplaire de l’Amérique latine, précité note (57), page 67. Toutes revendications intégrées dans les programmes et projets de développement que finance la Banque mondiale (www.banquemondiale.org).
74 – Michael Hardt et Antonio Negri, Empire, précité note (4), page 484. Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 404 et page 492.
75 – Michael Hard et Antonio Negri, Commonwealth précité note (3), page 404. Un intérêt capitaliste aujourd’hui mieux compris mais qui avait échappé à beaucoup quand les « cathos de gauche » du Parti socialiste poussèrent à l’instauration du RMI en 1988 (Pierre Bance, « La prestation paradoxale », préface au Revenu minimum d’insertion de Catherine Doublet, Travail social actualités, numéro hors-série, janvier 1990). En France, en 2003, des grèves et des actions revendicatives furent lancées par les intermittents du spectacle pour préserver leur statut du chômage plus avantageux que le droit commun dans le but de favoriser la création artistique. Des « négristes » avancèrent alors cette idée de salaire garanti universel que reprirent quelques syndicalistes amateurs sans se poser plus de questions sur l’inadéquation d’une telle revendication de nature corporatiste émanant d’une population aux tendances élitistes, ni sur sa signification au regard de la tradition ouvrière de solidarité de classe, d’un partage équitable d’une production commune opposé à l’assistance d’ordre public de l’État ou à l’assistance a priori désintéressée des chrétiens. Le mouvement en fut quelque peu déstabilisé.
76 – Comme en réponse à la crise financière, les Nations unies ont lancé, en avril 2009, un groupe de travail consultatif pour la mise en place d’un « socle de protection sociale » à l’échelle mondiale, piloté par le Bureau international du travail et l’Organisation mondiale de la santé et présidé par Michelle Bachelet, ancienne présidente du Chili (http://www.ilo.org/global/publications/ilo-bookstore/orderonline/books/WCMS_165750/lang–en/index.htm). Sur la base du rapport de ce groupe, fin 2011, l’ONU a relancé la question en appelant le G20 « à être courageux et à cesser de marchander » pour instaurer « un socle de protection sociale mondial » (http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=26743&Cr=social&Cr1=,ILO/11/82[ILO_RER]#.UNAvE3c7rK0). On en est resté là.
77 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 494.
78 – Michael Hardt et Antonio Negri, Empire, précité note (4), page 488.
79 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 226.
80 – « Et que ce projet d’exode est la forme fondamentale que prend la lutte des classes aujourd’hui » (Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note 3, page 224). L’exode est une fuite de la multitude pour se soustraire aux pouvoirs de la république de la propriété et réagir aux corruptions de la famille, de l’entreprise, de la nation (pages 219, 263, 374, 396).
81 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 209 ; « soustraction » est souligné par Hardt et Negri.
82 – Antonio Negri, « Communisme : quelques réflexions sur le concept et la critique » in L’idée du communisme, précité note (6), citation page 223. La question de ces préfigurations fait débat : une coopérative ouvrière ou un conseil de quartier participatif sont-ils des instances de libération ou d’intégration ? Dans Multitude, Hard et Negri écrivent que « cela reste une question ouverte » (précité note 4, page 325).
83 – Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude, précité note (4), page 325.
84 – Voir le tableau des luttes en trois colonnes (Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note 3, page 380).
85 – Antonio Negri, « Communisme : quelques réflexions sur le concept et la critique » in L’idée du communisme, précité note (6), pages 223 et 226. Les mots « institutions du commun » sont soulignés par Negri.
86 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 319.
87 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 431.
88 – Hardt et Negri n’ont du syndicalisme révolutionnaire et de ses principes politiques et organisationnels qu’une connaissance lointaine, c’est probablement pour cela qu’ils donnent parfois l’impression de le réinventer. Sur un mode allégorique, ils y font référence à propos des Industrial Workers of the Word (IWW) (Michael Hardt et Antonio Negri, Empire, précité note 4, pages 260 et 494). Les IWW sont une organisation syndicale américaine, à vocation internationale, proche du syndicalisme révolutionnaire ; active au États-Unis au début du XXe siècle, elle existe toujours dans les pays anglo-saxons ; lire Howard Zinn, Une Histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours, Marseille, Agone, 2002, 812 pages, spécialement les chapitres XIII à XV.
89 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 327.
90 – Albert Camus, L’Homme révolté (1951), Paris, Gallimard, « Folio essais », n° 15, 1985, 384 pages, citations pages 372 et 373.
91 – Antonio Negri, « Communisme : quelques réflexions sur le concept et la critique » in L’idée du communisme, précité note (6), page 224.
92 – Entretien avec Charlotte Hess et Valentin Schaepelynck sur Radio libertaire, 12 janvier 2011, précité note (10). La volonté commune vient en affirmation du rejet de l’« avant-garde politique susceptible de guider ou de représenter les masse » (Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note 3, page 325).
93 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 481. Ne pas se méprendre sur le sens « d’autorité démocratique ». Il faut comprendre : « un processus d’organisation au sein de la multitude et non au-dessus, qui instaure une prise de décision révolutionnaire et le rejet du pouvoir dirigeant » (page 455).
94 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 155.
95 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 266. Un passage de Negri laisse penser qu’il n’a pas définitivement écarté le parti : « Mais le matérialisme historique et l’immanence du projet révolutionnaire nous montrent un sujet qui va contre le capital, une multitude de singularités qui, même si elle ne prend pas encore la forme d’un parti, d’une organisation mûre et accomplie, s’organise en tant que force anticapitaliste et qui, par son existence même, représente déjà une résistance forte et articulée » (« Communisme : quelques réflexions sur le concept et la critique » in L’idée du communisme, précité note6, page 224). Voir à la fin de ce paragraphe que Hardt et Negri abordent prudemment le fédéralisme.
96 – Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude, précité note (4), page 394.
97 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 453.
98 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), » Le “devenir-Pince” est le processus par lequel la multitude apprend l’art de s’autogouverner et invente des formes démocratiques d’organisation sociale durables » (page 8).
99 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 477.
100 – Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude, précité note (4), page 386 et suivantes. Et s’il fallait recourir à la guerre civile ? « Le caractère non démocratique de l’armée populaire moderne peut être toléré au cours d’un combat, lorsqu’il est censé contribuer à la victoire, mais il cesse d’être tolérable lorsqu’il définit la structure politique de l’après-guerre » (page 97). Dans la continuité de cette citation, les auteurs sont critiques sur les luttes révolutionnaires et de libération passées et prennent pour modèle un mythe, un homme plutôt qu’une organisation, en soulignant « le rôle fondamental de Buenaventura Durruti, le grand dirigeant anarchiste catalan, dans la transformation sociale de l’insurrection » (page 98). Ils ne s’attardent pas sur les guérillas contemporaines à l’exception de l’Armée zapatiste de libération nationale au Chiapas, une armée qui n’en est pas vraiment une (page 111).
101 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 242.
102 – Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude, précité note (4), page 118, qui précisent : « le fait qu’un mouvement soit organisé sous la forme d’un réseau ou d’un essaim ne garantit nullement qu’il soit pacifique ou démocratique » (page 120).
103 – Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude, précité note (4), page 113. En 2000, dans Empire, ils disaient que « le seul événement que l’on attend toujours est la construction – ou plutôt – le surgissement – d’une puissante organisation » (précité note 4, page 493). Dans Commonwealth, précité note (3), ils n’analysent pas les raison de l’échec du mouvement altermondialiste.
104 – Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude, précité note (4), page 113.
105 – Ainsi dans Commonwealth, précité note (3), pages 237 et suivantes, Michael Hardt et Antonio Negri relatent les critiques que leur adressent Pierre Macherey, Ernesto Laclau, Paolo Virno, Étienne Balibar, Slavoj Žižek et Alain Badiou.
106 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 445.
107 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), pages 482 et 483.
108 – Ce qui leur permettra aussi d’abandonner quelques idées préconçues et désuètes sur l’anarchisme (Voir la fin de l’entretien d’Antonio Negri avec Charlotte Hess et Valentin Schaepelynck sur Radio libertaire, le 21 janvier 2011, précité note 10).
109 – Antonio Negri et Giuseppe Cocco, Global. Luttes et biopouvoir à l’heure de la mondialisation : le cas exemplaire de l’Amérique latine, précité note (57), page 197. On soulignera le souci d’éviter la violence bien qu’il ait été vu que Hardt et Negri ne l’écartent pas.
110 – Comment pouvait-on croire que l’élection de Lula renverserait le vieux monde alors que son programme électoral de 2002, déjà, « tourne le dos à la recherche d’une alternative au néolibéralisme ? » (Olivier Dabène et Frédéric Louaul, « Lula, président inoxydable », Le Monde, 28 septembre 2010).
111 – Antonio Negri et Giuseppe Cocco, Global. Luttes et biopouvoir à l’heure de la mondialisation : le cas exemplaire de l’Amérique latine, précité note (57), page 199. La débandade est complète avec la condamnation à dix ans et dix mois de prison de José Dirceu pour une affaire de pots-de-vin et d’achats de votes de députés au Congrès par le Parti des travailleurs (Nicolas Bourcier, « Au Brésil, la condamnation du bras droit de Lula provoque un séisme », Le Monde, 15 novembre 2012).
112 – Le temps n’est plus où l’on pouvait encore espérer de la Bolivie, surtout du Venezuela. Sur la Bolivie lire : Hervé Do Alto et Pablo Stefanoni, Nous serons des millions. Evo Morales et la gauche au pouvoir en Bolivie, Paris, Éditions Raison d’agir, 2008, 128 pages ; sur le Venezuela : Rafael Uzcátegui, Venezuela : révolution ou spectacle, Paris, Spartacus, 2011, 272 pages.
113 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 469.
114 – Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude, précité note (4), page 369. Les auteurs évitent d’utiliser le terme socialiste pour se préserver de ses lourdeurs historiques : « Le communisme est par conséquent l’ennemi du socialisme […]. Les perversions du “socialisme réelˮ ont neutralisé un siècle de lutte des classes et dissipé toute illusion sur la philosophie de l’histoire » (Antonio Negri, « Communisme : quelques réflexions sur le concept et la critique » in L’idée du communisme, précité note 6, page 220). Dans leur dernier ouvrage, Commonwealth, précité note (3), Hard et Negri abandonnent les termes de « New deal constituant » sans pour autant revenir à celui de socialisme, mais sans renoncer à l’idée.
115 – Michael Hardt et Antonio Negri, Empire, précité note (4), page 492.
116 – Antonio Negri, « Communisme : quelques réflexions sur le concept et la critique » in L’idée du communisme, précité note (6), pages 219 et 220. Plus loin dans le texte, Negri précise : autrefois démocratie devait s’entendre comme l’« administration de la chose publique, c’est-à-dire comme institutionnalisation de l’appropriation étatique du commun », aujourd’hui, « nous devons la penser […] comme gestion commune du commun » (page 227) ; n’est-ce pas là le communisme ?
117 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 485.
118 – Antonio Negri, « Communisme : quelques réflexions sur le concept et la critique » in L’idée du communisme, précité note (6), page 222. On remarque ici la survivance d’un nouveau pouvoir face à l’État. Ce n’est donc pas du communisme.
119 – Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude, précité note (4), page 260. « Intersticiel » est souligné et écrit avec un « c » à la fin par Hardt et Negri.
120 – Michael Hardt et Antonio Negri, Multitude, précité note (4), page 399. Perce là, chez Hardt et Negri, une ignorance, feinte ou réelle, de ce que furent les soviets avant d’être étatisés par le pouvoir marxiste-léniniste. Dans une abondante littérature, pour un point de vue à chaud, 1921 : Rudolf Rocker, Les Soviet trahis par les Bolchéviks. La faillite du communisme d’État, traduit de l’allemand par Pierre Galissaire, Paris, Spartacus, 2e édition, 1998, 106 pages.
121 – Daniel Bensaïd in Multitude ventriloque, précité note (50), page 5. La Magna Carta Libertatum ou Grande Charte est une charte que les aristocrates anglais firent signer au roi Jean sans terre en 1215, excédés qu’ils étaient par ses exigences financières et ses échecs militaires ; c’est ce texte qui établit l’habeas corpus empêchant l’emprisonnement arbitraire. Hard et Negri y font allusion page 366 de Multitude, précité note (4).
122 – « On a parfois l’impression qu’il est plus facile de penser la fin du monde que la fin du capitalisme. Je ne crois pas que cela soit vrai », Antonio Negri, entretien avec Steffen Vogel sur « Retour sur les “années de plomb »», La Revue internationale des livres et des idées, n° 5, mai-juin 2008, page 23. Une réponse à Slavoj Žižek qui déclara : « visiblement il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme » (Slavoj Žižek, « Nous allons devoir redevenir utopiques », entretien avec Éric Aeschimann, Libération, 16 février 2008).
123 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 419.
124 – Pour une approche de la question, voir Pierre Bance, « Maintien de l’ordre en anarchie », Autre futur.net, 21 février 2012 (http://www.autrefutur.net/Maintien-de-l-ordre-en-anarchie). Hard et Negri n’utilisent pas le mot « autogestion » mais plutôt celui d’« auto-organisation ».
125 – Michael Hardt et Antonio Negri, Empire, précité note (4), page 258.
126 – Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note (3), page 400. « Pas encore », mais quand ? Dans le prochain livre ?
127 – « L’amour est le cœur vivant du projet que nous avons exposé, sans lequel le reste ne serait qu’un amas sans vie », et aussi : « nous pensons […] cette force intellectuelle comme indispensable pour dépasser le dogmatique et le nihilisme » (Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note 3, respectivement pages 243 et 14).
128 – « Le bonheur est le processus qui développe nos capacités de prise de décision démocratique et qui nous apprend l’autogouvernement » (Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note 3, respectivement page 488).
129 – Sur un mode liturgique : « Extirper de nous-mêmes nos liens à l’identité et, plus généralement, les conditions de notre esclavage sera très douloureux, nais nous rions quand même. Dans les longs combats contre les institutions qui corrompent le commun telles que la famille, l’entreprise et la nation, nous verserons des océans de larmes, mais nous rions quand même. Dans les luttes contre l’expropriation capitaliste, le règne de la propriété et ceux qui détruisent le commun à travers le contrôle public et privé, nous souffrirons terriblement, mais nous rions quand même » et, phrase ultime de Commonwealth : « Le rire les enterrera ». (Michael Hardt et Antonio Negri, Commonwealth, précité note 3, page 496).
130 – Un monde cybernétique plutôt qu’un « conte de Noël, un peu magique » qu’évoque Philippe Corcuff dans « Antonio Negri, la multitude contre l’Empire », Sciences humaines, n° 160, mai 2005. Les écrits de Hardt et Negri font davantage penser à la science-fiction qu’aux contes de Perrault ; ils ne rêvent pas du passé, ils imaginent l’avenir.
131 – Des mythes plutôt que des abstractions comme les qualifie Daniel Bensaïd, « Multitude ventriloque », précité note (50), page 4.
132 – « Il faut juger les mythes comme des moyens d’agir sur le présent ; toute discussion sur la manière de les appliquer matériellement sur le cours de l’histoire est dépourvue de sens. C’est l’ensemble du mythe qui importe seul ses parties n’offrent d’intérêt que par le relief qu’ils donnent l’idée contenue dans la construction. Il n’est donc pas utile de raisonner sur les incidents qui peuvent se produire au cours de la guerre sociale et sur les conflits décisifs qui peuvent donner la victoire au prolétariat ; alors même que les révolutionnaires se tromperaient, du tout au tout, en se faisant un tableau fantaisiste de la grève générale, ce tableau pourrait avoir été, au cours de la préparation à la révolution, un élément de force de premier ordre, s’il a admis, d’une manière parfaite, toutes les aspirations du socialisme et s’il a donné à l’ensemble des pensées révolutionnaires une précision et une raideur que n’auraient pu leur fournir d’autres manières de penser ». Georges Sorel, Réflexion sur la violence (1908), Paris, Seuil, « Philosophie générale », 1990, 324 pages, Chapitre IV « La grève prolétarienne ». « C’est l’ensemble du mythe qui importe seul » est souligné par Sorel.
133 – Le Père Duchêne, n° 6, 30 ventôse an 79 (20 mars 1871), page 3.
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