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15 janvier 2018

L’indépendance catalane en débat

Nous publions ici trois textes sur la question de l’indépendance de la Catalogne. Un texte écrit par Guillaume de Gracia et deux textes, qu’il a traduit, présentant des positionnements divergents sur ce sujet.

  • Détruire le franquisme passe par l’indépendance de la Catalogne, par Guillaume de Gracia
  • Ni catalanistes ni nationalistes espagnols, par L’Albada Social (L’aube sociale)
  • Une journée avec l’anarchisme indépendantiste : « Artur Mas est plus insurgé que Podemos », par Ángel Villarino.

 

[tab:Texte de G. de Gracia]

Détruire le franquisme passe par l’indépendance de la Catalogne

« Vu de l’extérieur cela peut paraître étrange que des libertaires, anti-étatistes comme nous, puissent être au coude à coude avec des personnes qui se mobilisent pour une Catalogne indépendante. Je vous invite à venir mettre un pied sur notre terre, et vous comprendrez assurément la profondeur de notre combat. Un combat marqué du sceau de l’auto-organisation, de rues qui vivent et crient leur désir de liberté ».

Jordi Martí Font, membre de la CGT (centrale anarcho-syndicaliste, branche catalane) interviewé par Jérémie Berthuin1.

« L’État n’est pas la Patrie ; c’est l’abstraction, la fiction métaphysique, mystique, politique, juridique de la Patrie. Les masses populaires de tous les pays aiment profondément leur patrie ; mais c’est un amour naturel, réel ; le patriotisme du peuple n’est pas une idée, mais un fait ; et le patriotisme politique, l’amour de l’État, n’est pas l’expression juste de ce fait, mais une expression dénaturée au moyen d’une abstraction mensongère, et toujours au profit d’une minorité exploitante. La Patrie, la nationalité, comme l’individualité, est un fait naturel et social, physiologique et historique en même temps ; ce n’est pas un principe. On ne peut appeler un principe humain que ce qui est universel, commun à tous les hommes ; mais la nationalité les sépare : elle n’est donc pas un principe. Mais ce qui est un principe, c’est le respect que chacun doit avoir pour les faits naturels, réels ou sociaux. Or, la nationalité, comme l’individualité, est un de ces faits. Nous devons donc la respecter. La violer est un méfait, et, pour parler le langage de Mazzini, elle devient un principe sacré chaque fois qu’elle est menacée et violée. Et c’est pour cela que je me sens franchement et toujours le patriote de toutes les patries opprimées.»

Mikhaïl Bakounine, tiré de la circulaire à mes amis d’Italie à l’occasion du congrès ouvrier convoqué à Rome pour le 1er novembre 1871 par le parti mazzinien.

Le 3 octobre et le 21 décembre dernier, les Catalans ont voté. L’histoire est désormais connue, dans l’un et l’autre cas, les positions indépendantistes ont assez nettement gagné et avec près de 82% de votantes et votants lors du renouvellement de l’assemblée de décembre2.

Pour des anarchistes hexagonaux « pur sucre », l’extrait d’entretien ci-dessus peut paraître étonnant, surtout si l’on prend en compte le nombre d’organisations anarchistes ayant appelées à une grève générale commune le 3 octobre 2017 dernier afin, notamment, de lutter contre « le contexte autoritaire existant »3. Parmi elles, on retrouve les anarcho-syndicalistes CGT, CNT (Catalogne et Baléares ainsi que Barcelone) et Solidaritat Obrera ainsi que les groupes libertaires Negres Tempestes (Tempêtes noires), Embat (Coup), Heura Negra (Lierre noir) et Oca Negra (l’Oie noire).

De ce côté-ci des Pyrénées, à part une brève datant du 28 octobre du Monde Libertaire et une interview de Jordi Martí Font par Alternative Libertaire en date du 18 octobre dernier et un article assez court de recontextualisation4, on est bien en peine de trouver la moindre prise de position autre que celles engageant des individualités relayées par des médias plutôt axés sur l’autonomie5. Le Monde Libertaire a cependant prévu un dossier sur le sujet pour le mois de janvier. Seule peut-être, l’Association pour l’Autogestion via un article de Richard Neuville sur l’auto-organisation du référendum semble ouvertement prendre position en faveur du mouvement catalan6.

Pourtant, ainsi que le disait Norman Baillargeon lors d’une de ses interventions7 (de mémoire) : « mettez trois anarchistes à discuter ensemble, peu importe leur âge, leur pays d’origine, vous pouvez être sûrs qu’au bout d’un quart d’heure, ils parleront de l’Espagne de 1936 ». Notre point Godwin. Et si l’on veut être vraiment honnête, en fait d’Espagne, il s’agissait beaucoup de Catalogne. Ironiquement, est sorti au moment du referendum pour l’indépendance de la Catalogne, le quatrième volume d’une série dessinée par Gibrat (Mattéo – quatrième époque – août/septembre 1936) dont le sous-titre précise : « Barcelone c’était un peu l’Espagne, c’était surtout la Catalogne, c’était un peu la guerre, c’était surtout la révolution »8. Et ce ne sont pas les membres de l’Organisation anarchiste dont le numéro de septembre9 consacre un long dossier aux évènements de mai 1937 (à Barcelone, donc) qui s’inscriront en faux.

A cette quasi-absence de réaction organisationnelle française, répond pourtant des inquiétudes et des interrogations bien réelles, du moins, dans le milieu libertaire toulousain. Ainsi, lors des deux rassemblements de soutien organisés en octobre (et outre les catalanistes, des membres du NPA et y compris certains insoumis) on pouvait croiser des camarades issus de secteurs antifascistes (dont des historiques), régionalistes (occitanistes et catalanistes), anarcho-syndicalistes et/ou autonomes… A cela s’ajoute un ensemble de discussion qui, toutes, marquent bien le sentiment d’un retour -en fait, d’un « retour en force » plus que d’un réel retour : celui du franquisme.

Les médias français parlent à discrétion de la « constitution de 1978 » et de la transition comme d’une solution définitive, comme de LA manière trouvée par les espagnols de la fin des années 1970 de permettre (attention, concept creux) « le vivre ensemble »10. Pourtant, ce faisant, les journalistes des médias en question éludent plusieurs éléments :

  • la violence initiale du franquisme et de son pendant « rouge » durant la guerre civile : le stalinisme11. A titre de comparaison, si la guerre se déroulant en Syrie depuis sept ans et son cortège d’horreurs marquent à juste titre les esprits, notons qu’en six ans, ce conflit aura provoqué la mort de 300 000 personnes. En deux fois moins de temps, la guerre en Espagne a provoqué la mort de 400 à 800 000 personnes (selon les estimations), sans compter le déplacement de plus de 500 000 vers la France, le Mexique et l’Argentine, la famine durant une dizaine d’années jusqu’au début des années 1950, la chape de plomb de la dictature et, dernière horreur au compteur : le vol, d’abord idéologique mais devenu bizness à proprement parler de plusieurs centaines de milliers d’enfants12 ;

  • La violence sociale et physique de la « transition vers la démocratie » dont les conflits ouvriers, les grèves, manifestations, actes terroristes de l’extrême droite et violence de la répression sont savamment mises sous le tapis13.

  • Le fait que le franquisme ne soit pas mort mais reconverti en fascisme « BCBG ». L’hystérie répressive étant, sous nos latitudes, passé de mode depuis quelques décennies, il fallait bien, en ce milieu des années 1970, renouveler l’image de marque et en proposer une, fashion et moderno-compatible… Deux des derniers premiers ministres espagnols en sont issus. José Maria Aznar milite au sein des jeunesses phalangistes avant de rejoindre l’ancien ministre du tourisme de Franco, Manuel Fraga Iribarne (l’homme du lifting du franquisme et de son « ouverture ») lors de la création de l’Alianza Popular (AP), rebaptisé en 1989, Partido Popular (PP). Mariano Rajoy a quant à lui, rejoint directement l’AP après avoir milité dans les rangs de l’UNE (Union nationale espagnole), monarchiste, traditionaliste et incline à respecter le fondateur de la Phalange, José-Antonio Primo de Rivera.

Le franquisme newlook gouverne donc l’Espagne actuelle avec l’aval de l’ensemble des partis politiques. Car tous, y compris le Parti Communistes Espagnol (du temps où avec ses partenaires italiens et français il tentait une synthèse entre pratiques staliniennes et discours social-démocrate connue comme « Eurocommunisme ») firent allégeance à la royauté issue du franquisme. Le PSUC (Parti socialiste unifié de Catalogne, également communiste) en profita même pour mandater l’un de ses (brillants) intellectuels, Jordi Solé Tura, comme « constitutionnaliste » de 1978…

Aucun parti ne maintint donc frontalement l’opposition au fascisme, si ce n’est les mouvements sociaux. Pire, le PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) se vautra dans le clientélisme face à l’aubaine inespérée de mettre ses cadres aux affaires.

Franco, quelques années avant de gagner son lit de mort qu’une justice naturelle l’obligea à garder quelques semaines afin de définitivement passer l’arme à droite, avait précisé à son peuple, le 30 décembre 1969 : Todo ha quedado atado y bien atado (Tout est resté lié, bien lié)14. Le « tout », c’est l’Espagne chrétienne qui avait livrée croisade face aux hérétiques rouges ; le « lien », c’est évidemment le franquisme. Donc, détruire le franquisme, c’est défaire le lien maintenant le tout, c’est donc, défaire l’Espagne. Bien sûr, on pourra m’accuser de syllogisme mais, les manifestations nationalistes de ces dernières semaines, ayant pour seul mot d’ordre l’incarcération du président destitué de la Generalitat, Carles Puigdemont15 ; les bras tendus (même si minoritaires) ; les Cara al sol16 ; les drapeaux rouge et or d’une monarchie coloniale génocidaire, tant du côté africain qu’américain ; l’interdiction de la couleur jaune ou de l’utilisation de termes tels que « gouvernement en exil » lors de la dernière campagne électorale… ne peuvent laisser indifférents et ne peuvent surtout pas laisser penser à quoi que ce soit d’autre qu’à un retour en force des franquistes.

Evidemment, la Catalogne serait indépendante que le PP ne s’auto-dissoudrait pas. Pour autant, c’est bien la construction fantasmagorique d’une Espagne unie à laquelle l’indépendance de la Catalogne porterait atteinte. Or, Elysée Reclus, déjà en son temps, disait que l’Espagne portait en sa géographie même, la marque du fédéralisme anarchiste, tant les villes et villages sont espacées les unes des autres ; tant les gens, pour vivre doivent compter sur leur communauté17. Bien sûr, on peut douter que la Catalogne ne soit elle-même très unie, compte-tenue de l’absence de majorité nette pour l’indépendance, d’une unité linguistique peut-être artificielle et d’un glorieux passé commun à nuancer : les ultras-catholiques à la Gaudi ont-ils quoi que ce soit à voir avec le pédagogue libertaire Francisco Ferrer y Guardia ? L’ultra majoritaire CNT anarcho-syndicaliste avait-elle quoi que ce soit à voir avec les catalanistes à la Luis Companys dans les années 1930 ?

Cependant et sans pour autant adhérer totalement à l’idée de « vecteur pour la révolution mondiale » évoqué par Didac Costa18, l’enjeu de l’indépendance de la Catalogne est d’une importance stratégique majeure. D’abord, le retour de cette revendication, aussi éloignée soit-elle de la vision libertaire internationaliste et fédéraliste, n’en constitue pas moins l’un des principaux verrous à lever afin de dynamiter l’héritage franquiste. Or, l’affaiblissement et l’élimination du franquisme (sur lequel de nouveaux coups pleuvraient avec peut-être l’engouement de l’actuelle Euzkadi pour un processus indépendantiste similaire) est tout aussi nécessaire qu’il est nécessaire d’affaiblir en vue de leur anéantissement les neo-stalinisme, hitlérisme ou fascisme :

  • du point de vue de l’histoire, de la justice et de la morale libertaire il s’agit rien de moins que d’enterrer l’idéologie fossoyeuse du plus grand espoir révolutionnaire après 1917 ;

sur la société espagnole le franquisme fait peser un poids encore de nos jours, mortifère. Outre les récentes dérives opérées par le PP, n’oublions pas qu’Aznar fut, suite aux attentats d’Atocha en 2004, tenté de faire basculer le pays vers une situation d’état d’urgence qui provoqua sa chute après un mouvement massif de la « société civile ».

Mais, il ne s’agit pas que d’histoires hispano-espagnoles. La possibilité d’affaiblir mécaniquement la treizième puissance mondiale en lui ôtant sa province la plus dynamique ne peut-elle pas amener à un affaiblissement structurel de la puissance étatique à proprement parler ? Notamment de ses structures répressives à travers l’affaiblissement du lobby militaro-industriel dont on peut se demander réellement s’il se maintiendra dans un cadre restreint de « petits états »19 ? Certes, Puigdemont affirme que la République de Catalogne indépendante serait dotée d’une armée, mais encore faut-il compter sur les mouvements sociaux (dont la CGT) impulsant de régulières campagnes d’objection fiscale afin de réduire le budget de l’armée pour s’y opposer…20 Or, qui dit lobby militaro-industriel dit soutien aux nouvelles technologies (et donc au secteur privé), notamment de surveillance21 ainsi que le dénonce depuis des années, aux Etats-Unis un penseur comme Noam Chomsky22. Sans compter que la mise en pratique de l’idée du « agir local penser global », s’il semble pouvoir mettre en échec des états aussi puissants que l’Hexagone dans certains cas, c’est en général, autour de territoires ayant su développer un maillage solidaire local conséquent23.

La même logique est à l’œuvre en Catalogne24 et aurait de bonnes chances de s’enraciner un peu plus en cas d’indépendance. Une possible indépendance qui porte en elle des germes d’autonomie, d’auto-organisation mais aussi, antifascistes et potentiellement autogestionnaires qui vont bien au-delà de simples revendications nationales et républicaines surannées. Une possible indépendance supposant, depuis une perspective libertaire, une posture de soutien critique qu’ont adopté les compagnons et compagnonnes outre-pyrénéens qu’il me paraîtrait relativement dommageable de balayer d’un simple revers de main de ce côté-ci.

2 Les indépendantistes passent de 72 à 70 sièges entre 2015 et 2017 (sur 135), ce qui leur assure toujours une majorité absolue. Dans le détail, l’ERC (gauche républicaine catalane) dont le président Oriol Junqueras est toujours incarcéré emporte 32 sièges alors qu’elle espérait damer le pion au parti de Carles Puigdemont (actuel président en exil de la Generalitat). Ce dernier parti, Junts per Catalunya (Unis pour la Catalogne, centre droit) emporte 34 sièges. Reste la CUP (Candidature d’unité populaire, d’extrême gauche et anticapitaliste) perd quant à elle 6 sièges (de 10 à 4). Les indépendantistes sont à deux sièges de la majorité absolue au Parlement et devront donc construire une coalition.

Cependant, en termes absolus, c’est bien le parti libéral Ciutadans (branche catalane de Ciudadanos), mené par Inés Arrimadas qui emporte 37 sièges avec plus de 25% des voix. Mais Ciutadans profite surtout de l’effondrement du Parti Populaire et de son hystérie répressive. En conséquence, les Constitutionnalistes (favorables au maintien de la Catalogne en Espagne) sont en incapacité de gouverner le Parlement catalan.

3 Communiqué de presse commun aux organisations libertaires appelant à participer à la grève générale du 3 octobre dernier à lire ici : https://twitter.com/WSMIreland/status/915215177880043520 (en catalan et en anglais), consulté le 30 octobre 2017.

4 « Catalogne : du côté de la gauche sociale et indépendantiste » par Martial (AL St-Denis) du 20 novembre 2017, http://www.alternativelibertaire.org/?Catalogne-Du-cote-de-la-gauche-sociale-et-independantiste . Consulté le 2 décembre 2017.

5 « Prendre parti dans une situation étrange » par Santiago López Petit, Lundi matin : https://lundi.am/Catalogne-Prendre-parti-dans-une-situation-etrange, consulté le 2 octobre 2017 ; ou encore l’ensemble des textes de Thomas Ibañez parus sur www.lavoiedujagar.net.

6 https://autogestion.asso.fr/catalogne-droit-a-lautodetermination-auto-organisation/ consulté le 20 octobre 2017. L’APA réitère début décembre avec l’article « Décembre : le retour au premier plan du droit à l’autodétermination des peuples » par Colette web, 13 décembre 2017,https://autogestion.asso.fr/decembre-retour-premier-plan-droit-a-lautodetermination-peuples/. Consulté le 20 décembre 2017.

7 Le 8 mars 2011, à la librairie toulousaine Terranova pour défendre sa nouvelle traduction du classique de Rocker, Théorie et pratique de l’anacho-syndicalisme (Aden)

8 Aragonais de la Frange catalanophone d’origine, je ne ferai aucune injure aux camarades et compagnon-nes andalou-ses, des Pays Valenciens, d’Aragon et de toutes les localités dans lesquelles la révolution a vraiment eu lieu… Evidemment, le mouvement libertaire était puissant partout en Espagne mais n’a vraiment déployé la sociale dans toute sa complexité et toute sa générosité que là où il en a eu le temps…

9 Infos et analyses libertaires du mois de septembre 2017, numéro 109. A télécharger ici : http://infosetanalyseslibertaires.org/wp-content/uploads/2017/10/Le-Libertaire-N%C2%B0-22-bis.pdf.

10 Billet de Brice Couturier, du 26 octobre dernier sur France Culture pour lequel j’ai d’ailleurs saisi le médiateur de Radio France.

11 Entendons-nous bien d’ailleurs, il s’agissait d’une guerre en même temps que d’une REVOLUTION. D’aucuns préfèrent parler de l’une pour éluder l’autre, ce n’est pas mon cas : les deux composantes sont essentielles pour comprendre la complexité de la période. Or, pendant une guerre, il y a forcément des victimes. Mon propos n’est donc pas de tenter de faire croire que le camp anarchiste fut exempt d’exactions… De là, à le mettre dans le même sac que les idéologies totalitaires à l’œuvre par ailleurs, il y aurait là une insulte latente que je refuse absolument

12 Lire par exemple, en français, Santiago Mendieta, « les bébés volés du franquisme », revue Gibraltar numéro 2, juin 2013.

13 Voir par exemple les travaux d’Arnaud Dolidier en français : https://blogs.mediapart.fr/arnaud-dolidier/blog consultation du 30 octobre 2017. En espagnol, il suffit de taper quelques mots clés sur un moteur de recherche du type « transition démocratique et violence » pour tomber sur pléthore d’articles ou de docs en PDF s’attachant à cette histoire. Citons la première occurrence dont le titre est très signifiant : La Transición, un cuento de hadas con 591 muertos (la Transition, un conte de fées aux 591 morts) http://www.publico.es/politica/transicion-cuento-hadas-591-muertos.html. Consulté le 30 octobre 2017.

14 Par exemple ici : https://www.youtube.com/watch?v=bUfI18rCZPM consulté le 30 octobre 2017.

15 Qui, depuis, s’est enfui à Bruxelles pour échapper à la justice espagnole qui l’accuse de sécessionnisme.

16 Hymne de la Phalange entendu chanter par de jeunes fascistes dans les rues madrilènes ces dernières semaines.

17 A titre d’exemple, la première grande surface que l’on peut atteindre depuis ma comarque (division administrative couvrant à peu près 1000 km²) est distante de plusieurs dizaines de kilomètres, alors que près de 9000 personnes résident dans les 18 villages concernés.

18 Voir l’article de ce dossier, « Une journée avec l’anarchisme indépendantiste (…) ».

19 Lire par exemple, sur l’Ecosse : https://www.challenges.fr/economie/l-ecosse-independante-serait-un-nain-militaire_140978 . Consulté le 1er novembre 2017.

20 Et dans le contexte de pays dont le taux de recouvrement des impôts et le taux d’imposition tout court sont parfois moins élevés que dans l’Hexagone…

21 Voir par exemple Toulouse nécropole. Spécialité locales pour désastre global. La production d’armement dans la région toulousaine, Pas d’éditeur, reproduction vivement conseillée, 2014, toulouse.necropole@riseup.net.

22 Lire par exemple Comprendre le pouvoir. Premier Mouvement, éditions Aden, janvier 2005.

23 Pensons récemment à Notre-Dame-des-Landes, mais pensons il y a quelques temps en arrière à des événements tels que la lutte antinucléaire de Plogoff ou bien sûr, le Larzac…

24 Voir l’article de ce dossier, « Une journée avec l’anarchisme indépendantiste (…) »

Les commentaires sont modérés (les points de vue non argumentés et/ou agressifs ne sont pas retenus).

[tab:Texte de Albada Social]

Ni catalanistes, ni nationalistes espagnols1

Position du groupe anarchiste L’Albada Social2 (de la F.I.J.L3) sur le « bloc noir » de la manifestation du 11 septembre4 à Mataró5

Face à l’annonce d’un « bloc noir » lors de la manifestation du 11 septembre organisée par la gauche indépendantiste dans la ville de Mataró, nous croyons opportun de publier notre position de groupe vis-à-vis de la participation d’anarchistes dans des actes et des mobilisations à caractère nationaliste.

Il est clair que nous n’y assisterons pas et nous expliquons pourquoi dans la suite de ce texte. Nous espérons que notre apport en tant qu’anarchistes peut contribuer à développer une force sociale de réflexion et d’action qui s’oppose au courant nationaliste dominant. Les partis politiques de toutes les couleurs, bourgeois et pseudo-ouvriers, de droite comme de gauche alimentent un courant de pensée dominant, à caractère patriotique et nationaliste dans laquelle se noie la société catalane et dont nous sommes bien peu à pouvoir échapper.

Les mouvements nationalistes tendent à appliquer le critère suivant : ou tu es avec moi ou tu es contre moi ; soit tu es des miens soit tu fais partie du peuple ennemi (catalan ou espagnol ; serbe ou croate ; ukrainien ou russe). Quiconque se décide à se démarquer des plans et du programme d’un mouvement nationaliste est accusé de favoriser et d’appartenir au peuple haï, à l’ennemi. Peu importe le motif, il n’y a pas de raisons (rationnelles) qui peuvent s’opposer au sentiment (irrationnel) d’appartenir à un peuple décidé à réaliser sa glorieuse geste.

Nous, les anarchistes, ne suivons pas le courant dominant catalaniste, ni aucune force politique favorables à l’indépendance de la Catalogne. Nous ne nous identifions pas avec la patrie catalane. De ce fait, on nous accuse d’être des nationalistes espagnols.

Avec ce texte nous espérons rompre la dualité catalan-espagnol, indépendantiste-nationaliste espagnol. Nous voulons simplement ouvrir une troisième voie ; une nouvelle voie permettant de dépasser le conflit national. Nous voulons dépasser le conflit simplement en faisant porter l’attention sur l’individu à l’heure de construire une société juste et sans oppression.

Sur la libération et l’autodétermination des peuples

Aujourd’hui, l’autoritarisme sous ses diverses formes (capitalisme, patriarcat, religion, Etat…) s’étend partout dans le monde, soumettant sous une forme ou une autre la totalité des peuples. A cette force aliénante et abrutissante que suppose l’autorité s’oppose l’action et les idées anarchistes à partir desquelles nous voulons créer un monde nouveau basé sur des relations fraternelles, libres et solidaires entre les individus et leurs communautés.

En Catalogne, le fait est qu’une grande partie de la population se reconnait dans un ensemble de traits linguistiques et culturels qui ne sont pas totalement en adéquation avec les valeurs linguistiques, morales, religieuses, culturelles, traditionnelles, artistiques, esthétiques et éthiques que le Roi d’Espagne promeut et impose de la même manière à ses sujets. Nous pourrions dire que la grande partie de la population catalane se sent membre d’un collectif de personnes avec lesquelles elle partage une manière relativement similaire de parler, célébrer les fêtes, manger, regarder le foot, gober les mouches…

Ceux qui s’identifient à ce collectif peut-être n’ont-ils pas suffisamment repéré quelles sont les caractéristiques nécessaires, les conditions à remplir pour appartenir à ce club de membres privilégiés si hétérogène, si large, si abstrait. Les membres de ce club disent « Je suis Catalan ! », mais pourraient à peine définir ce qu’est, être catalan ou définir clairement ce qu’est le peuple catalan.

En revanche, les membres et le président de ce club, eux, oui, savent comment tu dois parler, la manière dont tu dois célébrer les fêtes de Noël ou quelle équipe de foot tu dois soutenir. Pour être catalan, tu peux parler comme les bourgeois de Barcelone ou comme les gitans de Lérida mais tu ne peux pas parler comme le Quijote, tu ne peux pas manger de zarzuela6 pour le jour de l’An, tu ne peux pas soutenir le FC Madrid, tu ne peux pas, tu ne peux pas, tu ne peux pas….

Depuis l’apparition de l’Etat espagnol (1714), ses élites ont mené à bien un plan d’homogénéisation de la population au niveau culturel et linguistique consistant à imposer les traits culturels, linguistiques que seuls partagent une partie des sujets : les castillans. Il s’agit de créer une communauté homogène de sujets qui s’identifient à une langue unique, un roi unique, un Etat unique, un drapeau unique.

Ce processus d’uniformisation culturelle a pour principale victime, la diversité et l’hétérogénéité. Cette relation de domination a historiquement provoqué la répression et la persécution de tous les traits culturels et linguistiques des territoires catalans.

En opposition à cette répression culturelle, des initiatives culturelles et politiques ont surgi tout au long de l’histoire et elles ont revendiqué l’autodétermination du peuple catalan. Aujourd’hui, cette tension persiste, bien que moins brutale, et les forces indépendantistes et nationalistes catalanes continuent de revendiquer l’autodétermination, mais toujours sous un même principe : la création d’un état catalan. Mais, sous quelle structure le peuple catalan pourrait-il être vraiment libre ?

En tant qu’anarchistes, nous concevons la liberté comme le plein développement de toutes les dimensions (intellectuelle, émotionnelle, culturelle, physique…) des individus au sein d’une société libre et solidaire, dans laquelle sera absente tout type d’autorité. Pour autant nous rejetons l’idée qu’un quelconque Etat-nation puisse être la solution à notre condition d’esclave, quand bien même se nommerait-il catalan. Nous sommes pour la destruction de tous les Etats, pas en faveur de la création de nouveaux.

L’anarchisme propose de construire une société centrée sur l’attention portée sur les intérêts de chaque individu dans la mesure où il considère que les hommes sont nés pour auto-réaliser leurs intérêts et pas pour aider à réaliser ceux de tiers. D’un autre côté, le nationalisme prétend construire une société et une justice en se concentrant sur les intérêts des nations. Mais ce sont des entités abstraites construites à un niveau surplombant l’individu. Dans les nations, les individus sont des moyens servant à satisfaire l’intérêt national. En ce sens et à partir du moment où les intérêts de l’individu s’opposent à l’intérêt national, la société basée sur la nation oblige l’individu à agir contre ses intérêts et contre sa volonté pour en satisfaire un plus sacré : la volonté nationale.

C’est ainsi que les soldats partent pour la guerre contre les nations ennemies, disposés à donner leur vie pour la patrie.

Le nationalisme catalan, comme les autres tend à créer une perception homogénéisatrice et simpliste de ce qu’implique le fait d’être né quelque part. Le sentiment nationaliste lui-même, le patriotisme culpabilise, exclu et châtie la diversité culturelle (par exemple, la coexistence de langues ou de différentes identités au sein d’un même territoire) en le concevant comme une menace à l’identité qu’il faut par conséquent réprimer et contrôler. L’exaltation patriotique de ce qui est propre à un peuple nous amène par ailleurs bien des fois à vouloir perpétuer sur le long terme des traditions et des coutumes qui, anachroniques et injustes, devraient être dépassées.

La conclusion la plus claire que nous pouvons en tirer est que n’importe quel type de nationalisme, y compris celui à caractère indépendantiste (le basque ou le catalan) est centraliste et réprime les différences qui existent en son sein puisqu’il part du concept de « nation » en oubliant que chaque personne est une entité autonome aux caractéristiques personnelles qui la rendent unique.

Souvent, deux peuples, deux nations peuvent se différencier principalement du fait de leur pratique de religions différentes (serbes-orthodoxes, bosniaques musulmans et croates catholiques) mais partagent une même langue (serbes, bosniaques et la majorité des croates partagent une langue slave appelée « serbo-croate » (divisée entre le chtokavien, kaïkavien et tchakavien).

Dans le cas des catalans et des castillans, la langue est la caractéristique déterminante ou la plus évidente au moment d’établir une différence, dans la mesure ou catalans comme castillans, traditionnellement, sont soumis au pape de Rome.

Au cours de l’histoire, il y a eu des exemples de nations ou de peuples qui se sont créés et défaits indépendamment des intérêts politiques des élites dominantes du moment.

Pour créer une nouvelle identité nationale qui englobe un nouvel Etat, il faut simplement concentrer l’attention sur un trait commun à tout le territoire de l’Etat auquel on a octroyé une valeur nationale. Dans le cas de la République Socialiste Fédérale Yougoslave de Tito, on oublia les différences religieuses entre Serbes, Bosniaques, Croates et l’on construisit une identité nationale yougoslave sur la base de la lutte contre le fascisme et la langue commune « serbo-croate »7.

A l’inverse, pour diviser une nation en deux (ou plus), il suffit de nier ce qui uni et potentialiser au maximum ce qui différencie. Pour séparer les catalans des valenciens, on peut mettre en relief les similitudes du parler valencien avec le parler catalan occidental et centrer l’attention sur les particularités de la langue de la capitale valencienne afin de tracer une ligne de démarcation. Pour diviser la nation yougoslave entre nation serbe, croate et bosniaque, il a suffi de rappeler aux serbes, bosniaques et croates dans quelles églises ou mosquées se rendaient leurs pères avant l’époque socialiste.

La création des nations et leur évolution est clairement déterminée par les intérêts politiques des élites dominantes qui appliquent des plans d’homogénéisation ou de division de la population en soulignant et potentialisant des différences et des traits culturels. Les nations telles que nous les connaissons et leurs frontières ont surgi à partir de guerres et de chocs d’intérêts entre les élites du pouvoir depuis différents lieux du territoire.

Les Pays Catalans (la Catalogne-nord8, le Pays Valencien, la Frange d’Aragon9, la Principauté d’Andorre, l’Alguer en Sardaigne et les Baléares) sont le résultat de l’expansion du pouvoir de Jaume 1er, du nettoyage ethnique de ces territoires conquis sur les maures et l’établissement d’une population catalane sur des territoires annexés à la couronne. Les nationalistes catalans prétendent maintenir durant des siècles et des siècles ce statu quo hérité de Jaume 1er pendant que les nationalistes espagnols prétendent maintenir le statu quo hérité de Philippe V.

Les uns comme les autres prétendent appliquer leurs plans sur une population déterminée. Ils prétendent, consciemment, modeler la culture du pays et la faire évoluer selon leurs intérêts en s’opposant et tentant d’éviter le développement naturel de traits culturels et linguistiques des différentes communautés. Cette transformation culturelle planifiée utilise les moyens de communication nationaux : on crée des standards linguistiques, on enseigne les traits culturels souhaitables dans les écoles sur tout le territoire de la même manière… Dans le pire des cas, on va procéder à un nettoyage ethnique en utilisant le racisme.

En tant qu’anarchistes, nous nous opposons à la moindre tentative de manipulation planifiée sur la population dans le but de réalisations politiques. Nous défendons la diversité culturelle, linguistique, le métissage, le dépassement des traditions injustes. Nous défendons le libre et naturel développement des cultures. Nous pratiquons le respect des particularités de chacun et de chaque communauté.

C’est pour ça que nous nous opposons à l’Etat espagnol et à ses plans d’homogénéisation artificielle et préméditée de la même manière que nous nous opposons au nationalisme catalan qui prétend créer des frontières, catalaniser et construire la justice sociale sur la base d’intérêts nationaux.

Qu’il soit basque, espagnol, galicien, catalan ou andalou, on ne peut être cohérent qu’en combattant tous les nationalismes indistinctement car ils sont tous pernicieux. C’est seulement en accouchant d’un fédéralisme et d’un internationalisme libertaire que l’on peut respecter l’autonomie personnelle, les différentes cultures autochtones et les particularités de chaque zone sans les sacrifier aux intérêts politiques

Sur la collaboration avec les partis politiques et les autres organisations qui comptent sur l’Etat comme institution régulatrices de la vie sociale

Le 11 septembre, le « bloc noir » manifestera en compagnie de la CUP10 et d’autres organisations sociales comme Maulets11 qui revendiquent franchement la création d’un état catalan.

On imagine que le « bloc noir » revendiquera la liberté des catalans sans appeler à la création d’un Etat spécifique. Même ainsi, nous pensons que c’est incohérent pour des anarchistes d’assister à une manifestation dans laquelle on revendiquera exactement le contraire de ce que nous voulons. Nous respectons la volonté des compagnons et des compagnonnes qui manifesteront dans le « bloc noir » mais nous croyons que, dans tous les cas, il serait beaucoup plus cohérent d’appeler à une manifestation spécifique.

Dans ce cas, comme dans tant d’autres, les partis politiques et les organisations sociales qui les appuient appellent à l’unité des « forces de gauche » contre « l’ennemi commun », sachant que c’est elles qui bénéficieront par la suite du succès de la mobilisation. Les mêmes qui, en cas de surgissement d’un Etat catalan n’hésiterons pas une seconde à réprimer la dissidence anarchiste dès qu’ils gouverneront.

Sur les actes commémoratifs et les journées de revendication historiques

Nous ne sommes pas très portés sur les actes commémoratifs ni très enclins à exalter certaines dates historiques. Par ailleurs, nous croyons que les anarchistes, n’ont rien à célébrer ou à commémorer le 11 septembre car nous avons de meilleures dates pour revendiquer la liberté des Catalans.

Le 11 septembre, ce n’est pas le peuple catalan qui perdit quoi que ce soit, mais une famille royale, la maison d’Autriche qui, à l’instar des Bourbons, s’est toujours illustrée par le fait d’avoir exploité sont peuple en le soumettant par la faim, la religion et la violence. Nous ne pouvons pas considérer la perte des institutions étatiques catalanes et de la couronne d’Aragon en 1714, comme une perte pour le peuple catalan, tout simplement parce que ces institutions ont uniquement servi à le maintenir soumis et à maintenir une classe sociale dominante et prédatrice. La véritable liberté de la Catalogne ne remonte pas au temps de la couronne d’Aragon qui fut une période d’impérialisme répugnant sur plusieurs portions de la Méditerranée.

La Catalogne a été libre en juillet 1936, quand le peuple travailleur, inspiré par les idées de l’anarchisme et de l’anarcho-syndicalisme se lança dans la rue pour combattre le fascisme, collectiviser les moyens de production et remplacer les institutions étatiques par des organismes révolutionnaires. Comme anarchistes et comme catalans, nous croyons que s’il existe une journée pour commémorer et revendiquer l’émancipation et la liberté du peuple catalan, il ne fait pas de doute qu’il s’agit du 19 juillet 1936 et pas du 11 septembre 1714.

Mais nous n’oublions pas que le 19 juillet, les anarchistes n’ont pas lutté pour la liberté de la Catalogne mais pour la liberté des individus et de leurs communautés car, la liberté de la Catalogne en tant que tel sera le résultat et la conséquence de la liberté de tous et de chacun des individus qui s’identifient aujourd’hui avec la communauté abstraite nommée  « peuple catalan ».

Groupe anarchiste « L’Aube Sociale »

Fédération ibérique des jeunesses libertaires

1 Ndt : Le titre exact de ce texte datant de septembre 2012 est « Ni catalaniste, ni espagnoliste ». Ce dernier terme existe en français mais est peu usité. Nous éviterons donc de l’utiliser. Toutes les notes sont du traducteur.

2 L’Aube Sociale.

3 FIJL : Fédération Ibérique des Jeunesses Libertaires, organisation créée en 1932 sous la Seconde République, historiquement proche des positions anarchosyndicalistes (et de la CNT). Depuis 2015, la FIJL n’existerait plus en tant que fédération à part entière.

4 Le jour de la Diada ou de la fête nationale de Catalogne. Le 11 septembre 1714, après 14 mois de siège, Barcelone tombe aux mains des Bourbons. Les institutions étatiques catalanes sont abolies.

5 Mataró est une ville de la comarque de Maresme, à une trentaine de kilomètres au nord-est de Barcelone. Une comarque est une division administrative de la taille d’un canton français mais bénéficiant d’une certaine existence juridique.

6 Plat de poisson à la sauce relevée.

7 Le serbo-croate étant une langue effectivement véhiculaire dans la région.

8 Le département des Pyrénées Orientales.

9 La Franga del Ponent, les comarques bordant la frontière catalane du côté aragonais qui sont de culture et de langue catalane.

10 Candidature d’Unité Populaire, parti indépendantiste de gauche, écologiste et anti-patriarcat fondé en 1986, revendiquant en 2017 près de 2000 militants et disposant de 382 sièges de conseillers municipaux (sur plus de 9000) en Catalogne et quatre députés à la Généralitat.

11 Organisation indépendantiste de gauche, écologiste et anti-patriarcat de jeunesse dissoute en 2012 dans la nouvelle organisation Arran (en français : à la racine, à la base…), revendiquant 600 membres.

[tab:Texte de Ángel Villarino]

Une journée avec l’anarchisme indépendantiste : « Artur Mas est plus insurgé que Podemos »1

Par Ángel Villarino, à Sant Privat d’en Bas (Girona)

Une partie des mouvements anarchistes et anticapitalistes catalans se sont associés à l’indépendantisme. Pour eux, la république catalane est un pas préalable à la révolution mondiale.

Bien qu’il ne soit pas de pure race – il est mélangé avec des ânes d’Afriques du Nord – Burruti est un symbole. Non seulement parce que c’est un âne2 (l’animal sacré des catalans) mais aussi parce qu’il a été baptisé d’un jeu de mot en honneur au fameux anarchiste Buenaventura Durruti. Burruti n’en fait qu’à sa tête sur les six hectares de l’éco-village d’Amat, située dans le parc naturel volcanique de la Garrotxa, près d’Olot (province de Girona). Il y a encore peu de temps, les visiteurs étaient accueillis par deux drapeaux : l’estelada3 et le drapeau rouge et noir de l’anarchisme. Aujourd’hui, seul le premier reste. L’autre a disparu sans que l’on puisse savoir ce qui s’est passé. Une des hypothèses est que le vent l’a emporté. L’autre, c’est que le troupeau de chèvre l’a brouté.

Catalogne le 1er octobre : de Mas à Puigdemont, chronologie du « processus » vers l’indépendance

[…]

Didac Costa (Barcelone, 1975), fondateur du lieu, activiste vétéran, a des dizaines d’années d’expérience derrière lui dans les mouvements alternatifs et de squats. Il s’est aujourd’hui érigé comme l’un des ponts entre l’anarchisme et le séparatisme. Il défend des positions polémiques : considère que l’on ne peut être de gauche –ou démocrate- sans appuyer le processus indépendantiste catalan ; que l’Espagne continue à vivre sous un régime franquiste ; que la bourgeoisie catalane a démontré qu’elle était plus progressiste que la gauche espagnole ; que José Bono est phalangiste4 ; que la culture politique madrilène est basée sur la tauromachie et que Podemos se situe du côté du fascisme quand ses membres doutent du 1er octobre5.

L’éco-village d’Amat est son rêve personnel. Après plusieurs années à promouvoir le troc en Amérique Latine, à participer à la fondation des ecoxarxes (éco-réseaux, système d’autogestion dotés de leur monnaie propre), à celle de la coopérative intégrale catalane (CIC6) ou au démarrage de la colonie éco-industrielle post-capitaliste de Calafou7… il a investi 250 000 euros (provenant d’un héritage familial), dans une ferme en ruine sur laquelle il souhaite monter un petit village et une activité productive –y compris un restaurant et une ferme servant à l’agrotourisme- dans l’optique de transformer la commune en commune durable. « On tentera de ne pas semer des plantes invasives, nous nous dédierons à l’agroforesterie ».

[…]

Il a déjà commandé les plans, dispose de panneaux solaires et s’est acheté une mini-excavatrice. Il a besoin de près d’un demi-million d’euros pour terminer les travaux, dont il peut financer la moitié et espère obtenir le reste via un système de copropriété en régime de coopérative. Afin d’éviter les problèmes du passé (pour que tout cela ne se transforme pas en un condominium punk), il précise l’importance de bien choisir ses voisins, de s’assurer qu’ils aient une affinité politique et une vision du monde proche. « Je veux que ce soit un « Spa » de la Révolution, un « think tank » qui amène les gens à réfléchir et penser la Révolution ».

Samedi dernier [16 septembre 2017], il est intervenu dans un cycle de conférences organisé par l’ANC8 et a terminé son intervention par un souhait. « Espérons », dit-il, que le 1-0 sera « l’ultime jour de l’empire espagnol », l’adieu de son « ultime colonie », la Catalogne. Son rôle, dans l’actuel engrenage, similaire à celui de la CUP9, l’amène à rapprocher l’indépendantisme du très dense monde libertaire catalan (anarchistes, groupes antimondialisation…). « La création d’une république catalane, qui sera un événement progressiste et proche du modèle nordique, est un vecteur pour la révolution mondiale. Du moins, est-il plus facile de changer le monde depuis ce point de départ que depuis le Royaume d’Espagne. Le monde libertaire et le monde «indepe»10 étaient deux mondes séparés mais c’est en train de changer ».

Mais ce n’est pas un travail évident. A la CNT d’Olot, quand il a commencé à dévoiler ses tendances indépendantistes, les critiques ont plu. Les mouvements anticapitalistes se sont traditionnellement maintenus éloignés de tout nationalisme, se méfiant de la création des Etats bourgeois, de leurs frontières, de leurs drapeaux, de leurs hymnes et des patries. Cependant, beaucoup accourent en soutien à ce qui fut leur bête noire pendant des années : la bourgeoisie catalane, -identifiée au vote pour Convergència i Unió11.

« Maintenant que ceux de Unió sont partis, la vérité c’est que ce qui se passe est très bien. Puigdemont a plus contribué à l’insurrection et à la désobéissance que Podemos (…) Artur Mas était libéral et capitaliste mais il a écouté le peuple, même s’il s’agissait de calcul politique […]. Quant à Pujol12, ils ont tenté de le discréditer par des manigances mais ont seulement trouvé de l’argent hérité de son père, en Andorre. De l’argent avec lequel il a fait quelque chose que j’aurai moi-même fait, c’est-à-dire, le sortir d’Espagne ».

[…]

Didac est issu d’une famille aisée. Il a étudié la sociologie à l’Université Autonome de Barcelone où il a connu certains des protagonistes de la vie politique actuelle, dont David Fernández13, Raül Romeva14 ou Xavier Domènech15. Il a vécu en tant que squatteur à Londres, dans des communautés en Amazonie, il s’est rapproché du mouvement bolivarien [au Venezuela] et de la cause kurde ; enfin, il affirme être devenu indépendantiste avec les Mapuche au Chili. Il a participé au 15-M16 catalan et a travaillé main dans la main pendant des années avec Enric Duran (connu comme le Robin des Banques17), aujourd’hui recherché pour avoir demandé des prêts à hauteur de près d’un demi-million d’euros qu’il a ensuite réparti au sein de communautés autogestionnaires. De l’argent qu’évidemment, il n’a jamais remboursé.

Pourquoi (presque) personne ne se mobilise contre l’indépendance de la Catalogne ?

La division entre ceux qui ne veulent pas voter et ceux qui veulent voter « non », l’absence d’une position unique, la peur… la « majorité silencieuse » a un problème de mobilisation.

L’Espagne est au centre de presque toutes les critiques de Costa. Les masses ouvrières qui ont émigré en Catalogne depuis des zones paupérisées du pays ont été les responsables de l’éloignement de la gauche de l’indépendantisme argumente-t-il. « Dans beaucoup de groupes de Podem18, on parle castillan, ou se méfie du catalan ». Il affirme que Madrid ne peut diriger aucune politique économique (« c’est un pays qui termine à peine sa révolution industrielle alors qu’ici, nous l’avons achevé il y a deux siècles »), ni linguistique (« là-bas, on ne parle qu’une seule langue et parfois mal, comme Rajoy, alors qu’ici nous sommes multilingues »). Face à un endroit dans lequel « on trouve des fascistes même dans les squats » -référence au Hogar Social19-, en Catalogne « on a créé le premier syndicat et le premier parlement du monde ». « Dans les débats à la télévision, on voit clairement la différence : en Espagne, on s’interrompt, on se parle en se hurlant dessus. Ça n’a rien à voir avec ce qui se passe ici ».

L’implication des mouvements radicaux et anarchistes dans le mouvement indépendantiste est plus qu’une anecdote. Au-delà de réunir des votes, ils constituent une force très active à l’énorme capacité de mobilisation. Après le 1-0 précise Didac, le mouvement de rue jouera un rôle fondamental. « Je ne pense pas qu’il y ait de la violence car la société catalane est désarmée, et c’est préférable. Mais l’Espagne est dans l’Union Européenne et il y a des choses qu’ils ne pourront tolérer. J’espère qu’on n’en arrivera pas à ça mais, qu’ils envoient un seul tank, qu’un seul manifestant meure et nous aurions déjà gagné. Je préfère une Catalogne en dehors de l’oligarchie de Bruxelles, mais si quelqu’un doit s’inquiéter de son éventuelle expulsion de l’UE, c’est Madrid, pas Barcelone » conclue-t-il quelques minutes avant de découvrir que les chèvres sont entrées dans la petite maison de bois, qu’elles ont tout arasé et qu’elles ont chié sur le comptoir.

1 Ndt : Un día con el anarquismo ‹indepe›: «Artur Mas es más insurrecto que Podemos», Article du journal El Confidencial du 18 septembre 2017. Artur Mas a été président de la Generalitat entre 2010 et 2016. Toutes les notes sont du traducteur.

2 Un âne se dit burro en catalan.

3 Le drapeau de l’indépendance catalane, ressemblant fortement au drapeau cubain par sa composition (étoile dans un triangle et barres horizontales) mais différant du point de vue des couleurs.

4 José Bono Martínez, ancien président du congrès national entre 2008 et 2011 en tant que membre du PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol).

5 Que l’on désigne ainsi en Espagne : « el 1-0 ».

7 https://calafou.org/ Consulté le 1er décembre 2017.

8 Assemblée Nationale Catalane, organisation se fixant pour but l’indépendance de la Catalogne sous forme d’un état de droit https://assemblea.eu/.

9 Candidature d’Unité Populaire, parti indépendantiste de gauche, écologiste et anti-patriarcal fondé en 1986, revendiquant en 2017 près de 2000 militants et disposant de 382 sièges de conseillers municipaux (sur plus de 9000) en Catalogne et quatre députés à la Généralitat.

10 Diminutif des indépendantistes.

11 CiU, parti politique de centre droit libéral, ayant gouverné la Catalogne de 1980 à 2003 puis de 2010 à 2016.

12 L’ancien président de la Generalitat.

13 Journaliste et activiste de la CUP.

14 Ancien vert, député de la Generalitat.

15 Historien et activiste, président du groupe Catalunya en Comú.

16 Ce que les Français connaissent comme le mouvement d’occupation des places de 2011 (le 15 mai donc) qui a commencé à Madrid avec l’occupation de la Plaza del sol.

17 Pour des informations sur Duran et son action, lire par exemple cet article de CQFD http://www.cequilfautdetruire.org/spip.php?article1809 (consulté le 30 décembre 2017) ou celui-ci de Politis https://www.politis.fr/articles/2013/02/enric-duran-le-robin-des-banques-seul-devant-la-justice-espagnole-20930/ (consulté le 30 décembre 2017).

18 La branche catalane de Podemos.

19 En Français, le Foyer social, groupe d’extrême droite qui, en avril dernier, a occupé le siège de Banco Madrid. Lire par exemple cet article d’El Pais : https://elpais.com/ccaa/2017/04/23/madrid/1492961084_775968.html. Consulté le 27 décembre 2017.

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