18 juin 2020
Ni machine ni vache à lait
Dossier « Des composantes existentielles de l’engagement libertaire »
Par Ronald Creagh
« To be, or not to be, that is the question »
William Shakespeare
Vivoter et crever. Ou s’éclater. Tel est le choix.
Pourquoi les foules s’excitent pour un ballon de foot et pas pour chaque être humain ?
Dans quelle intention Pooble m’appelle-t-il sur mon smartphone quand je suis occupé ?
Qui décide que j’ai besoin d’un coach ?
Mon corps est traité comme une pièce de rechange : je peux vendre un organe pour payer mes dettes.
Où sont les responsables ?
Ils sont planqués derrière de belles promesses. Comme tout candidat au pouvoir.
Si tu en as marre d’une vie sociale organisée pour t’encager, pourquoi tu ne te prends pas en main et avec d’autres tu n’inventes pas de l’inédit ? Lors de la pandémie du Coronavirus, il y a eu des exemples où la population s’est passée de l’État pour s’autogérer. Par exemple par la fabrication de masques, la distribution de nourriture aux soignants, l’entretien de leurs véhicules, les épiceries solidaires, le portage de repas préparés, le prêt d’appartements et même de gîtes par des particuliers et des hôteliers, toutes choses gratuites. Tout cela a été fait plus vite et mieux que les pouvoirs publics. L’anarchie commence avec l’entraide. C’est un processus d’autocréation individuelle, collective et perpétuelle. Une intelligence du cœur d’une toute autre nature que la supposée « intelligence » artificielle.
Un groupe anar est un lieu d’exercice du courage politique. Critiquer quelqu’un ou quelque chose, c’est encore compter sur lui. À l’opposé, on imagine et on innove un lieu alternatif, une vie sociale invisible et belle.
Invisible, parce que les autres ne savent pas la voir. On est tous différents, parfois même opposés. Égaux et solidaires dans l’aide mutuelle, chacun de nous est un volcan, chacun a en soi des forces et des feux. Forces d’invention, forces de bâtisseur, feux de colère et feux d’amour.
Nous ne sommes pas un parti et il n’y a pas d’élections parce qu’on est tous élus. Tous élus parce que chacun est unique. On s’oppose, et le débat nous enrichit, car on saisit mieux les besoins et désirs de chacun. Et la décision est meilleure, ne serait-ce que parce que les connaissances entre tous et toutes se sont enrichies et qu’on s’initie à l’art de la réconciliation.
Utopistes ? Bien sûr ! Le programme : chacun donne selon ses moyens et reçoit selon ses besoins.
Toute réalité sociale crée aussi son contraire. La vie est un terrain où se jouent les rapports de force. Tout l’art est de choisir le terrain. Des millions de gens, dont on ne parle jamais que pour les minoriser, agissent comme nous. Ils construisent tout de suite des milieux où l’on vit autrement. On veut tout changer. Maintenant.
Dans les sociétés esclavagistes de la Louisiane, personne n’imaginait que la propriété privée d’un esclave serait définitivement supprimée.
Prisonniers du rendement et serviteurs des smartphones, sortez de vos cages. Émancipez-vous. À chaque instant. Jusqu’au dernier enlacement de l’univers. Ensemble. Tous.
Ronald Creagh
Montpellier, 2 juin 2020
Ronald Creagh, né en 1929 en Égypte, est notamment l’auteur de : Utopies américaines. Expériences libertaires du XIXe siècle à nos jours (Marseille, Agone, 2009) et de Les États-Unis d’Élisée Reclus (Lyon, Atelier de création libertaire, 2019). Il est membre du collectif éditorial de la revue Réfractions.
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